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mardi 6 mai 2014

Rwanda : 20 ans après le génocide, les mots

Par « solidarité et humanité », voilà le thème de la revue Intersections menée par les associations Coopération Éducation Culture (CEC), en Belgique et Ishyo Arts Centre au Rwanda. - par Roland Rugero

« … la montagne d'horreurs et d’incompréhension nous hantait tant jour et nuit au lendemain du génocide que nous étions venus à croire qu'il nous avait hantés depuis toujours. Nous en étions venus venus à voir les victimes finalement comme des héros raciniens engagées dans un combat épique contre un destin inéluctable », raconte Dorcy Rugamba.
L’écrivain et dramaturge rwandais, qui a perdu sa famille dans le génocide des Tutsi au Rwanda, en 1994, revient sur l’expérience de « l'urgence » vécue juste après la tragédie. « J’écrivais dans l'urgence pour immortaliser des souvenirs avant que la mémoire ne me fasse des tours », précise-t-il. Dans ce combat où les souvenirs reviennent, « constants », se nourrissant des « détails parfois insignifiants » d'Avant, «  le crime demeurait une réalité fascinante. »

L’étape première était claire : « Vaincre la sidération, savoir ce qui s'est passée », se rappelle Dorcy. Qui cite Kankan, le célèbre humoriste camerounais : « Savoir de quelle mort est mort le mort. » 1998. Quatre ans Après. Une dizaine d’écrivains africains foulent le sol rwandais pour une résidence d’écriture autour de « Rwanda: écrire par devoir de mémoire » …
Parmi la foule de questions qui les hantent, dans les regards des âmes meurtries croisées, une phrase qui revient : « Que peut faire la littérature et en particulier la fiction devant une telle immensité de douleur ? » C'est l’écrivain tchadien Nocky Djedanoum qui rapporte l’expérience. Et qui tente d'y répondre : « Écrire est en soi une rude bataille contre le néant, contre la mort. »

Et au portraitiste ivoirien Frederic Grah Mel, participant lui aussi au projet, de compléter : « Les poètes, les artistes, les écrivains et les penseurs, brassant souvenirs et espérances dans la quotidienneté des souffrances et des dénis de justice, doivent constituer ces grandes réserves de foi, ces grands silos de force où les peuples, dans les moments critiques, puisent le courage de s'assumer et de forcer l'avenir. »

Cette manière de faire, de fraterniser, résume bien les textes de ce deuxième numéro du magazine Intersections, « qui sont tant des remparts contre l’amnésie que des sources intarissables pour la transmission », selon Dominique Gillerot, administratrice déléguée du CEC.

Extraits

Je pense que nous avons posé là un acte de solidarité important en Afrique, au moment même où, à la faveur de l'afropessimisme (« il n'y a rien à faire, il faut se résigner »), nous avons été assez sensibles à la couleur des mots pour décider de les écouter et d'en sortir non seulement avec des livres mais aussi avec une autre vision des problèmes de l'Afrique. Donc, au-delà de l'acte d’écrire, au-delà de ces textes qui sont dérisoires quand on les compare à toutes ces souffrances accumulées, il y a vraiment un acte politique très fort qui fait que l’événement va être inscrit dans la durée. - Dans « Entretien avec Boubacar Boris Diop », écrivain sénégalais … 

S'il est vrai que les cérémonies de commémoration sont souvent vécues ou perçues comme des événements traumatiques – puisqu'après tout il s'agit de rappeler la perte et l'absence d'un million de fois une vie humaine, la douleur et la solitude avec laquelle le peuple rwandais vit aujourd’hui -, il est aussi vrai que chaque commémoration est également un événement politique qui donc essaie de capturer des défis et les sentiments présents, de maintenir un dialogue continu avec l'Histoire, pour non seulement accompagner une population meurtrie, soutenir les efforts de reconstruction des âmes et du pays, mais plus encore pour élever le niveau de conscience des prochaines générations afin qu'elles soient des citoyens du monde différents ... - Carole Karemera, actrice, metteur en scène, directrice générale de Ishyo (Dans « Conjuguer passé, présent et avenir ») 

Je ne crois pas que la littérature puisse véritablement rendre compte de la réalité du génocide. Aucun mot n'en est capable, aucun roman aussi bien écrit qu'il puisse l’être n'en est capable. Je suppose que seuls les témoignages des survivants parviennent à nous faire comprendre ce qui a pu se passer et l'horreur dans laquelle ils se sont retrouvés pendant les événements. Par contre, la littérature peut permettre d'attiser les consciences et de garder en mémoire une page de l'Histoire qui autrement serait vite effacée, oubliée quand le quotidien reprend ses droits. Personne n'aime apprendre les mauvaises nouvelles. Personne ne veut savoir que nous ne sommes pas à l'abri de la cruauté et de la destruction. - Véronique Tadjo, écrivaine ivoirienne (« A la recherche de notre humanité charriée par la rivière Nyabarongo », entretien) 

La vérité est que je ne pouvais pas envisager un seul instant jusqu’où le chemin rwandais allait me conduire. Rien ne m'avait préparée à concevoir, à m'imaginer ce qui s'est passé au Rwanda avant, pendant et après les cent jours les plus funestes que le pays des mille collines eut à vivre. Et partant, mon expérience sera tissée d'effarement et d’étonnements. Une série d’étonnements qui non seulement relève d'une compréhension d'ordre intellectuel ou émotionnel mais qui peut également conduire beaucoup de gens à faire l’expérience ou plus exactement à prendre, à leur insu le plus souvent, le chemin d'une transformation intérieure. Et ce fut le cas pour moi. - Abdourahman A. Waberi, écrivain, écrivain djiboutien (Dans « Retour sur le Rwanda ») … 

Un crime idéologique a sa propre langue, la langue du crime avec des éléments de langage qu'il n'est pas facile de déceler d’emblée, surtout quand ils ont été martelés pendant très longtemps... Toute la noblesse du travail d’écriture réside alors dans l'enjeu de reconstituer un monde, une réalité, un événement, sans le trahir. C'est un important travail de mémoire mais aussi une œuvre sanitaire car il s'agit de créer une langue nouvelle, vierge de tout idéologie, qui isole le crime et ses concepts, sans quoi ce dernier prospère, même quand on croit le dénoncer, parce qu'un génocide c'est aussi une narration et une vision des hommes et du monde. - Dorcy Rugamba, auteur, acteur et metteur en scène rwandais (Dans « La langue du crime »)