Qui sommes-nous ?

Ma photo
Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

samedi 27 décembre 2014

« L'art, c'est plus que guérir, c'est prévenir »

Du 2 au 8 novembre 2014, Marie Louise 'Bibish' Mumbu était à Kigali. L’écrivain congolais installée au Canada dirigeait un atelier d'écriture organisé par Ishyo Arts Centre. Une rencontre que nous raconte l'artiste rwandaise Sabrina Iyadede.

Carole Karemera, directrice d'Ishyo Arts Center (à gauche) avec l’écrivain Marie Louise "Bibish" Mumbu

Je me suis toujours demandé comment on écrit un livre, moi qui écris des chansons. Il y a deux semaines, je me rendais donc en toute curiosité au centre d’art Ishyo, qui avait fait venir pour la nouvelle installation de leur Café littéraire trimestriel, Marie Louise ”Bibish” Mumbu. Auteure, journaliste culturelle, elle vit entre Montréal et Kinshasa, prix Mark Twain en 2009 pour sa formidable nouvelle « Moi et mon cheveu ».

L’Espace Madiba d’Ishyo qui nous accueillait, pendant 7 jours, est posé dans les locaux de l’École Internationale de Kigali. Des fenêtres hautes et larges inondées d’une lumière douce, des sièges confortables couverts de pagnes aux formes géométriques gaies, une fontaine d’eau sur une table où s’alignent toujours plus de gobelets qu’il n’y a de personnes, des étagères remplies de livres pour tous les âges et de tous les pays, et des portes, toujours ouvertes. Un endroit qui semble vous murmurer « Soyez le bienvenu et restez aussi longtemps que vous voudrez » ...
Et c’est exactement ce que j’ai décidé de faire, dès la fin de ma première journée d’atelier.

Cette expérience fut d’ abord une expérience d’écoute, de partage, d’humilité et de courage.

L’écoute, car Marie Louise, jamais imposante, jamais juge, écoutait avec intérêt les mots de tous. Ceux aux accents sans hic, comme ceux qui trahissaient un contrôle limité de la langue de Molière … et de Shakespeare, tous étaient les bienvenus. Le lendemain, elle revenait avec des textes de ses auteurs favoris, en rapport avec les histoires que nous avions déversé la veille. Elle abreuvait la source avec une intention sincère. Celle de nous inspirer et de nous apprendre que chaque histoire vaut la peine d’être racontée.

Le partage, car les paroles se prenaient à tour de rôle dans une espèce de rythme naturel. Il s’est passé quelque chose entre nous, une symbiose comme l’a souligné Mr Nyombayire qui m’a laissé avec une leçon résonnante : “Dans la vie, il faut se battre pour ce que l’on mérite, il ne faut pas se laisser impressionner !”

Une expérience d’humilité, car nous avions parmi nous, un historien, le professeur Mbonimpa Gamaliel, intarissable sur l’histoire et les traditions du Rwanda. Ce fut émouvant de le voir faire face aux jeunes participants et leurs regards qui revivaient les scènes qu’il décrivait, lui posant toujours plus de questions auxquelles il répondait : “ Patience, patience j’ y arrive ! ”
Bibish Mumbu, lors de l'atelier, avec les participantes
Sandrine Umutoni et Natacha Muziramakenga ...
Une expérience de courage car il en faut pour se raconter honnêtement. Lors d’un exercice sur la mémoire individuelle qui avait pour but de nous pousser à retracer nos racines et d’établir un peu plus qui nous sommes, Natacha Muzira, jeune artiste et poète rwandaise nous a offert un texte à fleur de peau intitulé “Les questions que j’ai oublié de poser.”

Un atelier organisé par des passionnées donc, Carole Karemera, Sandrine Umutoni et toute leur équipe qui ont su avec brio rassembler un monde varié dans une salle et trouver les outils pour que tous se rencontrent. Dans le contexte historique du Rwanda, une initiative pareille a tout son sens et devient même une nécessité. L’art ne participe plus seulement à guérir, mais à prévenir.

Je sens venir la question : alors, as-tu eu la réponse à ta question initiale, “Comment écrit-on un livre? ” Honnêtement, non. J’ai juste appris que l’on n’écrit pas un livre. On écrit “pour”, on écrit “à”.

Marie Louise écrit à son père, décédé trop tôt et à qui elle raconte ce qu’il n’est plus capable de voir ...

Une flamme fut allumée, sans aucun doute, et pour cela je dois dire merci pour tout.

dimanche 30 novembre 2014

« La politique linguistique vient réveiller notre patriotisme »


Le 28 août dernier, les députés burundais adoptaient à l’unanimité un projet de loi fixant la politique linguistique du pays. Pour comprendre la portée du texte, rencontre avec le jésuite et linguiste Guillaume Ndayishimiye Bonja.

Le Père Guillaume Ndayishimiye Bonja, recteur du Lycée du Saint-Esprit,
professeur à l’Université et représentant légal 
des Jésuites au Burundi
a aussi été membre de la Commission 
interdisciplinaire qui a rédigé
le texte de la politique 
linguistique nationale ©Iwacu

Pourquoi est-il nécessaire d'avoir une politique linguistique au Burundi ?

Il y'a pour plusieurs raisons : en octobre 2007, le Gouvernement du Burundi a adopté un document de politique culturelle qui prévoyait une politique et un aménagement des quatre langues utilisées au Burundi (le kirundi, le français, l’anglais et le swahili). Dans ce document, le gouvernement reconnaissait la nécessité de définir « une politique linguistique claire du Burundi indiquant notamment les actions à entreprendre pour une meilleure utilisation du kirundi au niveau de l’enseignement. »
Ensuite, l’adhésion du Burundi à la communauté des pays de l’Afrique orientale nous a engagé dans une géopolitique où l’anglais est langue officielle et de travail, le swahili comme langue de travail. Par ailleurs, l’article 5 de la Constitution de la République du Burundi prévoit que: « La langue nationale est le kirundi. Les langues officielles sont le kirundi et toutes autres langues déterminées par la loi ». Jusqu’aujourd’hui, ces autres langues n’ont pas été déterminées, d’où la nécessité d’une prise de position juridique pour combler cette lacune. Bien que le français serve de langue de communication internationale, sa reconnaissance comme langue officielle n’est plus reprise dans l’actuelle Constitution.

Il y'a aussi des questions au niveau de l'enseignement …

Évidemment. La décision d’enseigner quatre langues à partir de la première année pose des problèmes tant au niveau de l’enseignement (la qualification des enseignants) que de l’apprentissage (les apprenants confondent les langues et ne les apprennent pas bien). Une politique linguistique devait échelonner l'apparition des différentes langues dans le cursus. Il ne faut pas oublier que l’Union Africaine a recommandé par ailleurs une politique linguistique pour chaque pays au cours de sa 22
ème session ordinaire tenue à Addis-Abeba, du 28 au 30 juillet 1986. Enfin, une politique linguistique rejoint la préoccupation de l’UNESCO de protéger les cultures, le multilinguisme et les langues maternelles comme patrimoine de l’humanité.

Comment est né le texte voté par les députés ? Quels ont été les apports les plus constructifs ?

Une politique culturelle du Burundi a été adoptée en octobre 2007. En 2011, une étude sur la politique linguistique a été réalisée par trois consultants, sur la commande conjointe de la Maison de l’Unesco au Burundi et le Ministère ayant la Culture dans ses attributions. Le gouvernement a été intéressé par le document de politique linguistique du Burundi ainsi qu’un plan d’action subséquent qui prévoyait entre autres une loi sur les langues officielles, la relance de l’Académie Rundi, la normalisation de l’orthographe du kirundi, la protection du kirundi par la production d’œuvres littéraires et la recherche terminologique. Le texte voté par les députés précise les langues officielles, le Kirundi, le Français et l’Anglais. Il prévoit les langues véhicule du savoir et les langues à enseigner. Il projette des actions à mener ultérieurement pour des aménagements linguistiques.

En tant qu’éducateur et linguiste, quelles seront les capacités d'expression d'un jeune Burundais dans 20 ans ? 

Cela dépendra de l'agressivité dans la mise en œuvre de la politique linguistique. Je suis plutôt pessimiste au vu des moyens à mettre en œuvre et le peu de zèle que je vois chez mes compatriotes. Mais il ne faut pas désespérer. Que les enseignants éducateurs, les parents, les aînés, les médias et les décideurs politiques nous y aident !

Est-ce que cette loi ne vient pas fragiliser la position du kirundi dans certains domaines d'expression, comme l'administration où le français régnait ? 

Notre langue maternelle n’avait rien à perdre. Il était la seule langue officielle mais le français le supplantait déjà, car le français a été déjà langue officielle dans des Constitutions précédentes. Il fallait donc une action dynamique en faveur du kirundi peut retourner la vapeur. Le texte vient réveiller notre conscience et notre patriotisme. Il faut d’autres actions pour soutenir le kirundi et le défendre de l’envahissement des autres langues, et surtout de la langue hybride des jeunes et des intellectuels. La production d’industries linguistiques et littéraires peut aussi sauver le kirundi. Il faut une politique qui promeuve cela ainsi que la création littéraire et terminologique.

A côté de cette loi, quels sont les initiatives en cours pour sauvegarder le patrimoine littéraire national, en kirundi ?

Il y a notamment la relance de l’Académie Rundi qui aura notamment une telle tâche de sauvegarde. Il y a aussi des productions littéraires, comme les pièces et les feuilletons des auteurs comme Madame Marie Louise Sibazuri et d’autres. Le feuilleton « Ni nde ?» est aussi un exemple de sauvegarde de la langue. Un certain nombre de livres a été publié. Des recherches sont en cours. Il faudra aussi des anthologies rundi du genre de Ntahokaja ou de Rodegem. Je connais un lexique des termes juridiques. Je suis en train d’élaborer un dictionnaire de locutions en kirundi. Mais il faudra d’abord standardiser l’orthographe.

Quelques nouveaux mots que vous pourriez proposer dans un dictionnaire Kirundi-Kirundi aujourd'hui ...

Je propose par exemple Umusásiramáteeká pour dire parlementaire, umushíingamáteeká (député), umukéenguuzamáteeká (sénateur), « igitsibágane, igisobáangane » pour « embouteillage », « akadúunduúri, akadúundiko » pour « dos d’âne » …

Propos recueillis par Roland Rugero

vendredi 26 septembre 2014

‘These are no prayers’ : le cri du cœur d’Adams Sinarinzi

Pour ses débuts littéraires, le jeune auteur signe un excellent recueil poétique, tout en colère, tout en douceur, tout en humanité. La revue de l’œuvre par Ketty Nivyabandi.

Parfois
Nous mourrons dans mon pays
Parfois nous vivons
Souvent les deux
En même temps
Et de la même façon
Pendant longtemps
Pendant des années, et des années
Et des générations.”

Écrit principalement en anglais, mais dans un mélange éclectique de langues, typique du parlé de Bujumbura, These are no prayers est un exceptionnel retentissement des voix urbaines, un témoignage précieux sur une période charnière et concave du Burundi.
These are no prayers, est le titre du recueil de poésie d’Adams Sinarinzi. Un titre avertissement : « Ceci ne sont pas des prières. » Ceci n’est point de la poésie non plus, ajoute l’auteur une page plus loin dans son prologue.
Et pourtant… Rare est-il de trouver une collection de textes plus stridente, plus fervente que celle-ci, parue il y a quelques semaines à compte d’auteur.

A la fois coup de gueule et sanglot, époustouflant de finesse et d’acuité,
c’est le regard d’un jeune murundi qui, à travers chaque vers, interroge sa société, sa bulle d’air, son peuple, ses amis, son quartier, ses parents, vous et moi, mais avant tout, lui-même.
Et c’est précisément cette vulnérabilité désarmante, ce choix de se déshabiller et se dévoiler entier, confus et désemparé dans un système qui lui offre peu de choix, qui donne à cette collection toute sa force et son souffle.
Dans son dernier et plus lyrique poème, « Song of myself » une reprise du colossal poème classique de l’Américain Walt Whitman, Adams Sinarinzi s’écrie :

« La douleur de mon peuple
m’a intoxiqué
bien sûr il n’est pas le Moi Moi-Même
Et pourtant je pleure aujourd’hui, et si je pleure de tout mon saoul
Il est l’unique raison
Tout, voilà pourquoi » (Song of Myself)

Audacieux, Sinarinzi ne s’autorise aucun tabou. Parmi les multiples thèmes abordés l’on retrouve le néo-colonialisme ambiant sous le masque contemporain du développement (le drôle et perspicace ‘Appel d’offre’ est à lire absolument). Mais aussi le matérialisme de jeunes professionnels de la cité, cravatés d’arrogance et d’emplois juteux. Et aucune fausse pudeur envers l’intouchable génération des anciens
« nos vieux se dérobent / se cachent dans l’illusoire espoir/[…] pendant que se consume le pays/Ils sont chez Gérard » (Y’en a marre).
Au fil de ce long regard minutieux, c’est toute une société qui est scrutée, retournée, en quelques vers aux allures désinvoltes.
Un témoignage éloquent, perspicace et essentiel pour comprendre ce qui se trame dans les entrailles d’une nation profondément meurtrie, les gémissements d’un peuple qui porte sa tète lourde entre ses deux mains. Et de sa jeunesse en quête de repères.
Car si Adams s’indigne des maux ‘classiques’ de sa société (pauvreté, mauvaise gouvernance, corruption) c’est son aptitude à trouver les mots pour exprimer l’inexprimable qui le distingue.
Ces autres maux, plus vicieux et plus périlleux, et dont les statistiques ne parlent pas. Une peur diffuse, qui pourtant ‘règne dans le ventre de tout un peuple’. Une jeunesse qui sent coupée de ses ailes. Une société ou rêver n’est pas un droit mais une hérésie, un combat. Un sentiment ambiant entre la frustration, la mélancolie et le désespoir que l’auteur résume parfaitement dans son texte ‘Le spleen de Buja’.

Dans un style épuré, autant poignant que flegmatique, Adams Sinarinzi réussi à retranscrire l’indicible. Et il le réussi avec brio parce que l’on tâte, dans ces interrogations non pas un questionnement accusateur, mais une grande humilité, un désir profond et authentique de se comprendre. Il bouleverse parce que le lecteur se reconnaît dans ce miroir tendu vers lui, avec compassion et fraternité.
C’est ce voyage dans les ‘caves’ de son peuple tout en gardant le recul essentiel du poète qui est particulièrement remarquable pour cette première collection. Une dualité présente tout au fil de ces quarante-quatre fragments de finesse et de poésie. Adams est à la fois celui qui souffre avec son peuple et celui qui l’observe et le décrit.

« Ce pays n’a plus rien pour beaucoup
Sinon ce sanglot lyrique
Une mélancolie qui mène vers l’abîme »

Tout ceci pourrait porter à croire à une lecture sombre, prostrée de désespoir. Il n’en est rien. Car si ces points d’interrogations sont lancés vers le ciel « gris » du Burundi, ils ne laissent ni amertume ni désarroi sur leur trajectoire. Ces indignations, émouvantes d’humanisme et de sincérité, se lisent plutôt comme un appel à introspection, à mieux s’entrevoir, mais aussi une invitation à affronter et gérer cette vision diffuse.
Car au fond, celui qui s’indigne est celui qui rêve encore, celui qui croit qu’un lendemain meilleur est encore possible, et qui le revendique. C’est un peu celui qui nous tend la main et nous dit allons, nous ne pouvons pas tomber si bas, venez, croyons ensemble, et surtout pratiquons notre croyance. La quête sans doute utopique mais nécessaire vers un équilibre et une harmonie, qui habite tout poète.

Un cri d’alarme et de détresse, parfois déguisé en détachement (‘j’écris sans conviction, sans engagement » nous leurre t-il), mais « These are no prayers » ce sont aussi des textes d’une savoureuse tendresse, des éclats de félicité, de bonheur exquis, souvent au carrefour d’une rencontre, ou au pied d’un amour goûté, deviné, espéré...
La majorité de ces textes ont été écrits entre 2012 et 2013, dans une période de profonde méditation. Lors de la sortie de son ouvrage ce 17 juillet dernier, au café-littéraire Samandari (à qui l’œuvre est d’ailleurs dédiée), Adams rappelle vite que ces poèmes ne représentent qu’une partie de ce qu’il est, un moment de son parcours, capturé, figé sur papier. Mais que son cheminement continue, souvent vers des clairières bien plus lumineuses.

C’est dans tous les cas un tour de force pour ce vieux poète de 27 ans, épris de Whitman, d’Edward Said, de W.B. Yeat comme de Darwich. Une nouvelle et éloquente voix qui s’impose dans l’étroit univers littéraire burundais, et qui s’imposera certainement sur une plus grande scène également.
Un remarquable élan de rage et d’humanisme, dans une élégance résolument masculine et une sensibilité à fleur de peau.
Il est à lire de toute urgence.


jeudi 7 août 2014

Le patrimoine littéraire de l'Afrique centrale en construction

L’université du Burundi abrite depuis peu un espace dédié aux productions littéraires burundaises, rwandaises et congolaises. Rencontre avec le Pr Juvénal Ngorwanubusa, co-initiateur du projet. - par Roland Rugero

Le professeur Juvénal Ngorwanubusa,
dans la salle du patrimoine littéraire de l'Afrique Centrale (UB) / ©Iwacu
La salle est encore modeste en termes de titres. Quelques exemplaires d'anthologies, des recueils du Prix Michel Kayoya, des romans par des Burundais trônent sur les étagères grises, le long d'une longue table et des chaises en bois massif, cadeau des Archives et Musée de la Littérature - AML. « En principe, l’université nationale du Rwanda, celle de Kinshasa et celle de Lubumbashi devraient avoir une réplique de cet espace », explique le professeur Ngorwanubusa, du département de langue et littérature françaises, à l’Université du Burundi (UB).
Avant d'expliquer les origines du lieu : « Au tout début, c'est une histoire d'amitié personnelle entre moi et Marc Quaghebeur, poète et essayiste, Directeur des AML, à Bruxelles. »

Ils se rencontrent en 1991 à Bujumbura lors d'une exposition sur le poète flamand d'expression française, Emile Verhaeren.
A cette époque, M. Quaghebeur travaille à la création du collectif « Cellule fin de siècle » ainsi que la collection « Papier Blanc, Encre noir » qui paraîtra en 1993. Le professeur Ngorwanubusa y participera avec un essai sur « Le Burundi dans le reste du monde d'Anna Geramys », avant que la guerre qui éclate dans la même année ne mette un frein à la collaboration naissante.

La reprise de contact qui s’amorce en 2003, avec la parution d'un extrait du premier roman du professeur Ngorwanubusa en Lausanne (Suisse)1, consacre aussi le partenariat entre l'UB et les AML. Au final, le projet du Patrimoine littéraire sera soutenu par la Commission mixte regroupant les gouvernements du Burundi et celui la Wallonie-Bruxelles, ainsi que l'Agence universitaire de la Francophonie.
« Ce centre, qui est ouvert à tous, fonctionne comme une unité de recherche », explique le professeur Ngorwanubusa. Qui s'attend à des donations diverses, en particulier des œuvres littéraires de qualité ou assez rares pour une mise en valeur.
« Il y'a eu une formation aux AML en archivage numérique, et nous comptons l'exploiter pour rendre disponibles une centaine de documents dont l'unique copie se trouve à Bruxelles. »

Autre initiative : soutenir les recherches sur la littérature orale du Burundi avec le professeur Domitien Nizigiyimana
2, qui se rendra prochainement aux AML pour une mission d’étude sur les contes burundais.


1« Les Années avalanches »

2 Professeur à l’Université du Burundi, il est notamment le traducteur en kirundi de l’essai « Parole et écrits de Louis Rwagasore, leader de l’indépendance du Burundi » (2012, Khartala) rédigé par l'historienne Christine Deslaurier

mercredi 25 juin 2014

En anglais

A Lion's Death, Greener on The Other Side, Chance, … Deux romans, et une nouvelle, écrits par des Burundais : Dominique Ngendahayo Simbare, Lionel Ntasano, Joanna Kaze. Tous en anglais. Il se passe quelque chose : alors que le Burundi s'ouvre économiquement et politiquement aux cultures anglophones environnantes de l'Afrique de l'Est, la littérature n'est pas en reste.

A travers des textes tourmentés, à l'image de l'histoire passée et présente de leur pays, de jeunes burundais s'essayent à raconter l'humain au quotidien. On avait des initiatives littéraires francophones (Prix Michel Kayoya, café-littéraire Samandari, dynamique sous-régionale autour de l'association Sembura).

Il faudra compter désormais avec des auteurs d'expression anglophone. Penser, encore une fois, à mettre en exergue tous ces travaux (en français, en anglais, en kirundi aussi) à travers un événement rassembleur, à l'instar du cinéma burundais et son Festicab (qui fête durant ce mois de juin sa sixième année d'existence.)

Continuer à construire, nourrir l'envie d’écrire, rassembler, assembler …

Des mots qui n'auraient pas choqué l'immense Maya Angelou (née Marguerite Ann Johnson en avril 1928, dans le Missouri, aux Etats-Unis) qui s'en est allée le 28 mai dernier. Elle disait, par exemple : « J'ai appris que les gens peuvent oublier ce que tu as dit, ou ce que tu as fait. Mais les gens ne peuvent pas oublier ce que tu leur a fait vivre/sentir. »
Ce qui est, précisément, la prétention première de la littérature.

- par Roland Rugero

mardi 6 mai 2014

Rwanda : 20 ans après le génocide, les mots

Par « solidarité et humanité », voilà le thème de la revue Intersections menée par les associations Coopération Éducation Culture (CEC), en Belgique et Ishyo Arts Centre au Rwanda. - par Roland Rugero

« … la montagne d'horreurs et d’incompréhension nous hantait tant jour et nuit au lendemain du génocide que nous étions venus à croire qu'il nous avait hantés depuis toujours. Nous en étions venus venus à voir les victimes finalement comme des héros raciniens engagées dans un combat épique contre un destin inéluctable », raconte Dorcy Rugamba.
L’écrivain et dramaturge rwandais, qui a perdu sa famille dans le génocide des Tutsi au Rwanda, en 1994, revient sur l’expérience de « l'urgence » vécue juste après la tragédie. « J’écrivais dans l'urgence pour immortaliser des souvenirs avant que la mémoire ne me fasse des tours », précise-t-il. Dans ce combat où les souvenirs reviennent, « constants », se nourrissant des « détails parfois insignifiants » d'Avant, «  le crime demeurait une réalité fascinante. »

L’étape première était claire : « Vaincre la sidération, savoir ce qui s'est passée », se rappelle Dorcy. Qui cite Kankan, le célèbre humoriste camerounais : « Savoir de quelle mort est mort le mort. » 1998. Quatre ans Après. Une dizaine d’écrivains africains foulent le sol rwandais pour une résidence d’écriture autour de « Rwanda: écrire par devoir de mémoire » …
Parmi la foule de questions qui les hantent, dans les regards des âmes meurtries croisées, une phrase qui revient : « Que peut faire la littérature et en particulier la fiction devant une telle immensité de douleur ? » C'est l’écrivain tchadien Nocky Djedanoum qui rapporte l’expérience. Et qui tente d'y répondre : « Écrire est en soi une rude bataille contre le néant, contre la mort. »

Et au portraitiste ivoirien Frederic Grah Mel, participant lui aussi au projet, de compléter : « Les poètes, les artistes, les écrivains et les penseurs, brassant souvenirs et espérances dans la quotidienneté des souffrances et des dénis de justice, doivent constituer ces grandes réserves de foi, ces grands silos de force où les peuples, dans les moments critiques, puisent le courage de s'assumer et de forcer l'avenir. »

Cette manière de faire, de fraterniser, résume bien les textes de ce deuxième numéro du magazine Intersections, « qui sont tant des remparts contre l’amnésie que des sources intarissables pour la transmission », selon Dominique Gillerot, administratrice déléguée du CEC.

Extraits

Je pense que nous avons posé là un acte de solidarité important en Afrique, au moment même où, à la faveur de l'afropessimisme (« il n'y a rien à faire, il faut se résigner »), nous avons été assez sensibles à la couleur des mots pour décider de les écouter et d'en sortir non seulement avec des livres mais aussi avec une autre vision des problèmes de l'Afrique. Donc, au-delà de l'acte d’écrire, au-delà de ces textes qui sont dérisoires quand on les compare à toutes ces souffrances accumulées, il y a vraiment un acte politique très fort qui fait que l’événement va être inscrit dans la durée. - Dans « Entretien avec Boubacar Boris Diop », écrivain sénégalais … 

S'il est vrai que les cérémonies de commémoration sont souvent vécues ou perçues comme des événements traumatiques – puisqu'après tout il s'agit de rappeler la perte et l'absence d'un million de fois une vie humaine, la douleur et la solitude avec laquelle le peuple rwandais vit aujourd’hui -, il est aussi vrai que chaque commémoration est également un événement politique qui donc essaie de capturer des défis et les sentiments présents, de maintenir un dialogue continu avec l'Histoire, pour non seulement accompagner une population meurtrie, soutenir les efforts de reconstruction des âmes et du pays, mais plus encore pour élever le niveau de conscience des prochaines générations afin qu'elles soient des citoyens du monde différents ... - Carole Karemera, actrice, metteur en scène, directrice générale de Ishyo (Dans « Conjuguer passé, présent et avenir ») 

Je ne crois pas que la littérature puisse véritablement rendre compte de la réalité du génocide. Aucun mot n'en est capable, aucun roman aussi bien écrit qu'il puisse l’être n'en est capable. Je suppose que seuls les témoignages des survivants parviennent à nous faire comprendre ce qui a pu se passer et l'horreur dans laquelle ils se sont retrouvés pendant les événements. Par contre, la littérature peut permettre d'attiser les consciences et de garder en mémoire une page de l'Histoire qui autrement serait vite effacée, oubliée quand le quotidien reprend ses droits. Personne n'aime apprendre les mauvaises nouvelles. Personne ne veut savoir que nous ne sommes pas à l'abri de la cruauté et de la destruction. - Véronique Tadjo, écrivaine ivoirienne (« A la recherche de notre humanité charriée par la rivière Nyabarongo », entretien) 

La vérité est que je ne pouvais pas envisager un seul instant jusqu’où le chemin rwandais allait me conduire. Rien ne m'avait préparée à concevoir, à m'imaginer ce qui s'est passé au Rwanda avant, pendant et après les cent jours les plus funestes que le pays des mille collines eut à vivre. Et partant, mon expérience sera tissée d'effarement et d’étonnements. Une série d’étonnements qui non seulement relève d'une compréhension d'ordre intellectuel ou émotionnel mais qui peut également conduire beaucoup de gens à faire l’expérience ou plus exactement à prendre, à leur insu le plus souvent, le chemin d'une transformation intérieure. Et ce fut le cas pour moi. - Abdourahman A. Waberi, écrivain, écrivain djiboutien (Dans « Retour sur le Rwanda ») … 

Un crime idéologique a sa propre langue, la langue du crime avec des éléments de langage qu'il n'est pas facile de déceler d’emblée, surtout quand ils ont été martelés pendant très longtemps... Toute la noblesse du travail d’écriture réside alors dans l'enjeu de reconstituer un monde, une réalité, un événement, sans le trahir. C'est un important travail de mémoire mais aussi une œuvre sanitaire car il s'agit de créer une langue nouvelle, vierge de tout idéologie, qui isole le crime et ses concepts, sans quoi ce dernier prospère, même quand on croit le dénoncer, parce qu'un génocide c'est aussi une narration et une vision des hommes et du monde. - Dorcy Rugamba, auteur, acteur et metteur en scène rwandais (Dans « La langue du crime »)

mercredi 26 février 2014

Rencontre avec Dorcy Rugamba : « Je déteste les identités »

Dorcy Rugamba lors de la rencontre avec les élèves
de l’École Belge et du Lycée du Saint Esprit,
durant la Caravane littéraire de decembre dernier
 ©dr
L’écrivain et dramaturge rwandais était au mois de décembre 2013 l’invité d'honneur de la caravane littéraire dédiée aux littératures du Burundi, RDC et Rwanda. Entre impressions et projections sur ce voyage, l'artiste revient sur la question d’identité si présente dans la sous-région. - propos recueillis par Roland Rugero

Trois semaines au Burundi et du Rwanda en parlant littérature, livres, en rencontrant des jeunes. Qu'est-ce qui vous a frappé ?

J’ai été surpris par une rencontre en particulier. Celle avec les élèves du Lycée Saint Esprit. La hauteur des points de vue et la diversité des interventions, très argumentées, étaient assez surprenantes pour des jeunes gens et jeunes filles d’à peine seize ans. Je salue l’équipe des professeurs et l’encadrement de cet établissement pour la qualité de l’enseignement qui y est dispensé. Pour avoir fait d’autres rencontres avec d’autres étudiants, j’avoue que ceux là m’ont beaucoup impressionné. En règle générale, je crois que les écarts entre les niveaux d’instruction d’une école à l’autre, est ce qu’il y a de frappant. Tant au Burundi qu’au Rwanda, ce n’est pas nécessairement dans les établissements d’enseignement supérieur qu’on trouve les étudiants les plus armés intellectuellement.

A propos de ces deux contextes, quelles similitudes, quelles différences ?

Il y a beaucoup de similitudes entre les littératures du Rwanda et du Burundi et une seule différence à mon humble avis, mais fondamentale. Sur un siècle d’écriture contemporaine, les écrivains rwandais et burundais ont quasiment abordés les mêmes thèmes, parfois aux mêmes périodes. Comme si chaque génération d’écrivains sur les deux rives de l’Akanyaru, avait toujours eu le même chantier. Par contre la grande différence réside dans le choix de la langue. Les écrivains burundais ont choisi pour la plupart d’écrire en français alors que leurs homologues rwandais de la même génération optaient pour le kinyarwanda comme langue de création littéraire. Par exemple, il n’y a pas de Michel Kayoya rwandais.

C'est à dire ?

J’entends par là, une grande figure d’écrivain francophone qui soit considéré comme une référence tutélaire comme l’est Kayoya au Burundi. Les trois grandes figures de la littérature contemporaine au Rwanda, que furent Alexis Kagame, Cyprien Rugamba et Aloys Bigirumwami ont tous fait le choix de la langue rwandaise pour leur ouvrages de littérature. Bien qu’ils écrivaient en français aussi, surtout des essais scientifiques, la littérature demeurait la chasse gardée du Kinyarwanda. A l’exception notoire de Xaverio Nayigiziki, c’est surtout chez les écrivains de la diaspora rwandaise qu’on a pu voir des œuvres littéraires en français ou en anglais. En tout cas c’est ce qui a prévalu dans la génération des pionniers. Aujourd’hui, surtout après le génocide, depuis que les débats qui concernent le Rwanda se sont internationalisés, la nouvelle génération d’écrivain rwandais choisit l’anglais et le français pour toucher un large public. Cependant la tradition de la littérature en kinyarwanda demeure, même chez les jeunes écrivains : je lisais récemment le manuscrit du premier roman rwandais « Humura », écrit en langue maternelle par Olivier Bahizi, juste au lendemain du génocide.

Votre présence au Rwanda suscite une ferveur qui va au-delà d'une simple rencontre artistique, principalement grâce à la renommé de feu votre père. Comment le vivez-vous ?

Toujours avec beaucoup d’émotions. Et beaucoup d’humilité bien évidement, envers l’artiste et la figure paternelle. Au café littéraire de Huye préparé par les étudiants de l’université, j’étais très touché de les entendre lire et chanter ses poèmes et témoigner de toute l’affection qu’ils avaient pour lui, sans l’avoir jamais rencontré si ce n’est à travers son œuvre. Comme quoi la littérature peut permettre une rencontre aussi intime que le contact physique. L’art est le plus court chemin de l’homme à l’homme, disait Malraux.

L'ecrivain lors du café-littéraire du 28 novembre 2014
animé par Ketty Nivyabandi
©dr
Au Burundi, vous avez passé une soirée comme invité du café-littéraire Samandari. Qu'est-ce qui vous séduit ? Qu'avez-vous aimé moins ?

J’ai adoré le Samandari, pour la qualité des débats, pour la diversité du public qui le fréquente, qui est de tous âges et de tous les milieux sociaux, j’ai aimé aussi le côté participatif de ce café littéraire qui le rend plus convivial. Je n’ai qu’un souhait, c’est que ce café soit un jour retransmis sur une radio en direct ou à la télé pour que son audience soit élargi et que ceux qui ne peuvent pas se déplacer puissent le suivre de loin. Pensez à nous aussi, qui habitons sur la toile ...

Dans votre travail, vous revenez sur les questions de mémoire et d’identité. Comment envisagez-vous ces deux concepts dans la région des Grands-Lacs où ils ont été d'ailleurs en tension précurseure de violences humaines inouïes ?

En fait je déteste les identités. Le concept d’identité est une chose que je trouve vaine et mesquine. Nous sommes des hommes, et c’est déjà assez chargé comme programme pour une seule vie, je trouve. Le propre de l’homme justement, est de ne pas avoir d’identité, puisqu’il est en perpétuel mouvement, qu’il se cherche en permanence et change sans arrêt, contrairement à l’animal qui lui n’a pas de quête. Chaque être humain est singulier. C’est de cette singularité que l’humanité tire son génie et sa richesse. Si on vous disait que vous êtes identique à tel, fût-il le plus grand des hommes, vous vous sentiriez nié en tant que personne et profondément insulté. Ce serait une insulte à votre intelligence, à votre esprit, à votre histoire, aux différentes expériences que vous avez vécus, bonnes ou mauvaises mais qui vous constituent, une insulte à tous les efforts que vous avez fournis, à tout le mal que vous vous êtes donné pour être l’homme que vous êtes aujourd’hui.

Mais si vous détestez tant les identités, pourquoi écrivez-vous à propos du sujet ?

Pour montrer qu’ils sont très souvent source d’aliénation. Regardez la Centrafrique et cette violence débridée autour de références religieuses. C'est d'une misère morale absolue. Ce que j’essaie d’écrire sur les identités mais qui n’est pas simple à formuler et que nous valons bien plus que les références temporaires du moment présent. Nous sommes tout autant sinon plus définis par le futur. Par nos aspirations et projets à venir, parce que ce sont sont eux qui guident notre action aujourd’hui et donnent une claire définition de qui nous sommes en vérité.

Et la mémoire ?

Elle est importante. Un jour viendra où nos enfants et nos petits enfants voudront savoir quelque chose de toutes ces histoires fumeuses qui se sont passées de notre vivant. C’est important que nous leur laissions des traces fiables de notre époque afin qu’ils puissent avoir des repères. Justement de la violence, vous rappelez souvent qu'elle « commence par les mots » ...

En 2014, entendez-vous d'autres mots que ceux qui génèrent la violence dans les Grands-Lacs ?

C’est une grande question. Bien sûr j’aimerai me dire que tout ça est derrière nous, que nous ne connaîtrons plus jamais la période folle que nous avons connus par exemple au Rwanda avec les médias de la haine. En même temps, il suffit de jeter un coup d’oeil sur internet, sur les sites des différents pays des Grands Lacs pour se rendre compte que cette parole existe toujours et même dans une forme plus outrancière. Quand on lit ça, on se dit qu’il nous faudra peut-être encore quelques générations pour que nous puissions vraiment en parler au passé.

Cette année, le Rwanda commémore les 20 ans du génocide. Quelle serait la place de l'artiste dans ce travail de « veille » ? Quel sera votre apport ?

C’est une bonne occasion pour regarder l’évènement avec la distance que permet ce temps de deux décennies. Le rôle de l’artiste, à mon humble avis est de trouver des formes de représentation du génocide qui aident les survivants au travail nécessaire de deuil sans les désespérer de la vie. Quant à moi, j’ai passé beaucoup d’années, dès le lendemain du génocide à travailler sur ce sujet. En tout, quatre productions. Je suis très heureux que ces travaux existent et ils seront largement montrés au Rwanda durant cette année de commémoration.

Pensez-vous qu'il soit possible de créer dans nos pays dans l'art sans évoquer, revenir sur ceux des nôtres dont la morsure du départ inattendu nous hante toujours ?

Oui c’est évidement possible. C’est même salutaire. Ce serait une autre tragédie si nous n’avions que ça à dire. Je crois que c’est une question d’équilibre. Les sagesses anciennes nous disent qu’il faut une place pour chaque chose. Il y a un temps pour tout dit la Bible. Notre culture ancestrale disait qu’il faut une place pour les défunts (inzu y’indaro) afin qu’ils ne cohabitent pas avec les vivants sinon ils vont les hanter jour et nuit, qu’il faut aussi un temps qui leur est consacré pendant lequel un culte leur est rendu (guterekera) pour qu’une fois ceci accompli les vivants puissent s’occuper des vivants l’âme en paix et le cœur léger. Je pense que c’est la même équation pour l’artiste. Il vaut mieux rendre un culte aux défunts dans son travail artistique et avoir une œuvre ou plusieurs qui fasse office de sa propre case de veille dédiée aux défunts pour pouvoir se libérer de ce sujet et laisser libre cours à son inspiration une fois ce devoir accompli.

Et si vous suggériez trois ouvrages à lire aux lecteurs des pages littéraires, en ce début d’année ?

Je recommande le livre d’Amin Maalouf « Les identités meurtrières » c’est un essai magistral pour pousser plus loin la réflexion sur les identités. Et il en sait quelque chose, Maalouf lui qui vient d’un pays, le Liban où il y a plus de seize identités religieuses. En deuxième, je suggère de redécouvrir l’écrivain Amiri Baraka qui vient de décéder, je pense à son livre « Le Peuple du Blues » qu’il avait écrit sous le nom de Le Roi Jones. Comme nous avons évoqué la violence dans les Grands Lacs, je recommande la pièce qu’Aimé Césaire a consacré à Lumumba « Une saison au Congo»

Quels sont vos projets actuels, futurs ?

Je suis en train d’écrire une série médicale pour la télévision et je commence le troisième volet de ma trilogie sur l’économie de marché, constitué de «Market Place», « Gamblers » et donc d’une troisième pièce dont je ne connais pas encore le titre. 

jeudi 30 janvier 2014

Le défi de raconter la mémoire

Comment est-ce que le contexte politique influence-t-il le travail littéraire ? Dans ce texte présenté dans la bibliothèque de la ville d’Iowa City, l’écrivain Roland Rugero parle du cas du Burundi.


La discussion avait été longue. Belle. Là, dans cette Suisse italophone où le Babel Festival tenait édition sur les nouveaux écrivains de l'Afrique, je venais du Burundi. Il, Dorcy Rugamba, était du Rwanda. Dramaturge, acteur, metteur en scène, rescapé d'un génocide de 1994 qui emporta sa famille. Il me disait, pourtant : "On ne peut pas nous définir que par notre souffrance, sinon elle risque de devenir notre identité, à la fin " ...
Plus tard, nous nous retrouvions à Genève, à la Maison Rousseau et de la Littérature, pour discuter sur les défis de la "mémoire vive" dans nos travaux respectifs.

Identité et mémoire.

Je viens d'un pays où, à l'école, à l'Université, on n'apprend rien de l'histoire du Burundi entre 1962 et nos jours, si ce n'est le jour où la nième République apparut. Ou la date de tel assassinat. Ou les coordonnées de telle signature d'Accord, de convention, de cessez-le-feu ...
Cinquante années et plus résumées par des dates froides. Dangereux, impossible d'intercaler le commentaire, d'expliquer le pourquoi, le qui, le comment des tragédies, des événements. Une histoire sur laquelle on passe vite, presqu'avec gêne, perpétuant encore et encore le non-dit au nom de l'impératif du
"ntakuzura akaboze" - il ne faut pas déterrer ce qui est pourri.

Sauf que cette "pourriture" est à un peuple ce qu'est le fumier au champ : sans elle, le pays risque de rester barricadé dans ses "identités meurtrières", dans ses commémorations-vengeances, dans sa mémoire-vindicative … Sans elle, le pays croit mal, en oubliant ses racines.
Sans cette "pourriture", la jeunesse n'a cesse de tout remettre en cause, parce qu'elle manque de référent, parce qu'elle veut comprendre, parce qu'elle se demande comment, pourquoi et qui a fait qu'elle hérite d'une histoire aussi triste. Comme ce nourrisson dans l'
Enfant et le Sourire1.

L'écriture devient alors, ici, une urgence. De transcrire la mémoire de nos grands-parents qui, un à un, s'éteignent, qui d'avoir trop vécu, qui de vivre désormais mal.
Elle devient urgence, un appel à témoin, le lecteur, à communion, celle d'un peuple qui, sous ses multiples identités, a vécu les mêmes bêtises, les mêmes barbaries, les mêmes questions.
L'écriture devient témoignage, de nos temps. De nos luttes, notamment face à l'Entre deux mondes annoncé il y a quarante ans par l'abbé Michel Kayoya2, celui de la tradition et du contemporain.


Mémoire et identité.
Mais alors au-delà de la possible et récurrente confusion entre mémoire et Histoire, un doute surgit : et si, en répétant ce qui s'est passé, on participait à répéter les mêmes mots qui nous ont endeuillés, puisque, comme me le rappelait encore Dorcy, "la mort dans nos pays, avant d'être physique, était symboliquement portée par les mots ?"
Mots détournés, mots à double-sens, mots-couverts, mots-couleuvres, mots-violence, mots-kirundi ?, mots-français ?, mots-nous ?, mots-eux ? ...
Ces mots : à force de ressasser avec notre histoire immédiate ou lointaine, de les redire, de les écrire, de les jouer, de les lire, de les chanter, nous risquerions de perpétuer le même mal de division et d'égoïsme que ce que nous prétendions, au départ, dénoncer, mettre à nu.

Et c'est ici, présentement, que surgit le chantier dans toute sa complexité : créer un nouveau langage.

Faire en sorte que l'écriture participe à former une autre manière de raconter la vie. Avec des mots-nouveaux, qui parlent d'une destinée commune, coûte que coûte, qui permettent d'assurer le passage entre-générations, entre celles de nos parents, muets de souffrance et de culpabilité, et la nôtre, fiévreuse de questions et avide de voyager.
L'écrivain est alors un passeur. Il n'a pas de mission de guérir, ni de soulager.
Juste celle de créer des mots nouveaux.

Voici, Messieurs et Mesdames, dans son rugueux costume sentant l'eucalyptus et les vallées enfumées du pays des tambours sacrés, l'un des grands défis de la cité du Burundi.

1Anthologie "Émergences - Renaître ensemble" (Sembura, 2011), texte primé par la médaille de bronze aux VIèmes Jeux de la Francophonie à Beyrouth (2009)

2Dictionary of African Biography (Oxford University Press, Inc. - 2010)