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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

mercredi 24 avril 2013

« D’ici la fin du siècle, trois mille langues auront disparu »


Alors qu'on s'interroge sur la place de différentes langues au Burundi, notre confrère Donat Madimba, de la Radio Okapi, accueillait il y a un mois, Mukash Kalel, secrétaire permanent de l'Observatoire national des langues congolaises, sur la question des langues en voie de disparition en RDC.
Quelle est la situation actuelle des langues maternelles ?
La planète Terre parle 6000 langues selon les estimations des linguistes. Mais comme certaines d'elles sont en train de mourir, ils prévoient aussi que d'ici la fin de ce siècle, la moitié aura disparu.
Pour quelles raisons ?
Premièrement, parce que les « grandes » langues comme l'anglais, le français, l'espagnol s'étendent. Ensuite, les mutations sociales font que dans tous les pays en développement, les populations quittent les campagnes pour aller habiter en ville. Or vous savez qu'en ville domine une seule langue. Si vous prenez Kinshasa par exemple, c'est le lingala qui s'impose. Lorsque les arrivent en ville, ils oublient avec le temps les « petites » langues, qui disparaissent. Il y a aussi le fait qu'il peut y avoir une catastrophe, une guerre, qui fait que la population parlant une langue donnée disparaisse.
Pouvons-nous savoir le nombres de langues maternelles congolaises répertoriées dans les 3.000 parlées à travers le monde ?
Nous avons à peu près 250 langues, en plus des quatre langues nationales qui sont le lingala, le kikongo, le tshiluba et le swahili. Le français est quant à lui la langue officielle.
Vous évoquez des langues qui meurent : y en a-t-il avec en RDC ?
Oui. Il y a quelques langues qui sont en danger, parlées par moins de 100.000 personnes. Par exemple, il y a trois langues dans le Bandundu, dont le ngongo et le nsambane, qui disparaissent. Le nombre de locuteurs diminue au fur et à mesure que le kikongo s'étend.
Est-ce que ceux qui parlent ces langues sont conscients qu'elles disparaissent ?
Non. Cela se passe dans un processus inconscient, en fait.
Comment protéger ces langues de la disparition ?
Il faut les récolter, les mettre par écrit, rédiger leur grammaire, rapporter les textes oraux, balancer cela sur Internet et créer des structures de préservation de ces langues, comme des clubs.
Une langue maternelle ? C'est la langue dans laquelle un enfant apprend à parler. Elle peut donc être différente de celle de sa mère, et dépend principalement du milieu dans lequel les parents du nouveau-né vivent.

lundi 15 avril 2013

Un joyau du Rwanda

Il existe, quelque part dans Kigali, une femme toute d'art : comédienne, musicienne, danseuse, actrice, grande amoureuse de littérature, activiste culturelle. Accrochez-vous : nous plongeons dans ses grands yeux.

Carole Umuringa Karemera, comédienne (Les Troyennes d'Euripide,
La Femme fantôme de Kay Adshead, Rwanda 94 Anathème,
deux spectacles mis en scène par Jacques Delcuvellerie),
actrice (Quelques jours en avril, téléfilm de Raoul Peck, Juju Factory
de Balufu Bakupa-Kanyinda, etc.) est aussi l'initiatrice
d'un mouvement associatif, Ishyo Arts Center, un centre culturel
unique à Kigali. (©Photo Ishyo Arts Center)
18 ans. Une pièce dans la main. Pile ou face. Deux choix : ou j'irai étudier les mathématiques à Solvay. Ou je ferai le Conservatoire royal de musique de Mons. J'ai réussi aux deux concours d'entrée. Carole Umuringa Karemera, qu'on m'appelle. Née en 1975, en Belgique. Aînée chez mon père, journaliste, et deuxième chez ma mère, interprète.
Hop!, je lance la pièce. Face. Quelques mois plus tard, j'apprendrai qu'un de mes professeurs a dû mentir au Directeur du Conservatoire (que je n'ose pas qualifier de raciste, tout de même) que j'étais fille de diplomate pour qu'il m'y laisse entrer. Le Monsieur n'y était pas habitué : je suis la première Noire d'Afrique sub-saharienne qui entre dans l'établissement.

Le premier spectacle de théâtre, j'avais six ans. J'étais en vacances, au Burundi. Mon grand-père avait tenu à m'emmener voir une troupe rwandaise itinérante qui jouait dans les quartiers de Bujumbura. Une espèce de scène de fortune, des acteurs transportés, des gens qui viennent, écoutent, soudain ailleurs... J'ai été marquée, à jamais. Trois ans plus tard, parallèlement à une formation scolaire classique, je commencerai l'Académie des Arts.

[ Silence... ]

Vous savez, l'art est plus qu'une passion : c'est un engagement. A 37 ans, je me rends compte qu'il n'y a pratiquement pas d'expérience que je regrette. J'ai aimé le Conservatoire pour les rencontres qu'il m'a offerts. Musiciens, comédiens, metteurs en scène, Europe, Etats-Unis, Afrique : j'ai toujours eu la chance de travailler avec des gens qui interrogent le monde.

Comment ? Une photo ? Mais Monsieur le journaliste, je suis mal à l'aise face à un objectif. Parlons d'autre chose, n'est-ce pas ?

[ Silence... ]

Être Rwandaise sans avoir mis les pieds au Rwanda, jusqu'à 18 ans. C'est une identité avec laquelle j'ai toujours été obligée de composer : la richesse des voix dans le chant traditionnel rwandais, la rigueur de l'artiste, ses valeurs, la conscience de soi... Un tremplin vers d'autres cultures croisées à Bruxelles.
Je ne pensais pas rentrer. Mais avec le génocide, le Rwanda est devenu mien. Autant la culture rwandaise me donnait des repères par rapport à ce que je voulais être, elle me permettait de grandir artistiquement en Belgique, autant, d'un coup, 1994 m'a rappelé mes racines. Un appel profond.

[ Silence... ]

A partir de 1997, j'ai plusieurs fois quitté la Belgique pour le Rwanda, que j'ai longuement parcouru, en évitant soigneusement les traces, récentes, de la tragédie. Pendant près de cinq ans, j'ai rencontré les vieux rwandais pour comprendre plus encore notre culture, enregistreur au poing. Certains m'ont prise pour une folle... Puis j'ai eu des propositions de travail pour le Tchad, le Sénégal, le Burundi, et d'autres pays encore. J'ai accepté. Et plus le temps passait, plus je me rendais compte que toutes ces destinations se nourrissaient de ma profonde lâcheté par rapport au Rwanda.

2004.

10ème commémoration du génocide : on a monté Rwanda 94. Je revois Butare, 2.000 personnes. Des hommes qui se lèvent au milieu de la pièce pour aller pleurer dehors, en cachette, puis revenir. Six heures sur scène, à jouer, puis discuter, écouter ... Ensuite il y a eu ce film de Raoul Peck, Quelques jours en avril. 800 figurants, dont la moitié dans le rôle des bourreaux, l'autre des victimes. Trois mois de tournage, une expérience inouïe, un voyage dans quelque chose d'absolument trouble : l'absurde. Je me suis décidée à quitter la Belgique, et venir vivre au Rwanda.

« C'est vrai, vous êtes musicienne ? », me demande le journaliste. Oui, je joue, au saxophone soprano.

[Silence... ]

J'étais très vieille quand j'étais petite : j'écoutais Edith Piaf, Monk, Ray Charles, Stevie Wonder, Nina Simone, l'Opéra, les danses roumaines, la musique traditionnelle rwandaise, le jazz... La voix est le plus bel instrument de l'univers. Et si Dieu existe, c'est à travers elle qu'on peut l'atteindre.

[Silence... ]

J'aimerais apprendre, et passer derrière la caméra. Il y a beaucoup d'histoires à raconter sur mon pays. Mais si je filmais, je travaillerais comme au théâtre : beaucoup en amont, pour que tout le monde soit au même niveau. Le cinéma : j'y suis allée très tard, à reculons. J'ai toujours cru qu'il me serait très difficile de jouer avec quelque chose d'inhumain, l'objectif de la caméra, les perches, les lumières, l'artificiel, ... Et puis je déteste la hiérarchisation des rôles dans un tournage. Ce n'est vraiment qu'avec Raoul Peck que l'aventure a pris. Pour son film, il m'a dit : « Tu as une très belle interprétation, le problème, c'est ton physique. » J'avais le corps d'une danseuse. Pas celle de mon personnage : une infirmière. J'ai alors décidé de prendre 10 kg. J'ai habité le corps d'une femme rwandaise, sa force, sa mollesse, sa manière de marcher sans se presser. Quel défi !

[Rires. Silence... ]

Je suis absolument fascinée par les écrivains. Quand je croise de l'écrit, article, bande dessinée, roman, poésie,... cela me laisse toujours des traces. En fait, je les envie pour cet espace de partage, infini, qu'ils ont.

Les écrivains... J'ai l'impression qu'ils ont la capacité de savoir où commence, et où se termine le monde. Tu sais, je suis une interprète, moi, je travaille la verticale, les événements. Les écrivains, eux, travaillent l'horizontale.
Couchés.
Ils scrutent la ligne du temps.

[Rires... ]

Roland Rugero