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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

dimanche 31 mars 2013

Où lit-on à l’Est de la R.D.Congo ?


Question on ne peut plus embarrassante pour l’imagerie internationale et même pour celle des Congolais de l’Ouest ou du Sud de la R.D.C qui n’ont de l’Est du pays qu’un prisme déformant... Globalement, on n’y voit qu’un trou noir où tourbillonnent des vagues interminables de violences, de viols, menées par des groupes armés toujours renouvelés, d’enfants soldats et d’inépuisables déplacés de guerres.

Jean-Claude Makomo Makita, ici lors du  Colloque littéraire des écrivains de la région des Grands-Lacs (©T.Mazina)
Aller y parler de la culture de la lecture des livres, et particulièrement celle de la fiction littéraire, c’est faire preuve de manque de réalisme dans l’analyse des faits. Pourtant, la réalité échappe à ce prisme déformant du regard extérieur. Bukavu et Goma sont incontestablement de grands foyers de lecture. On s’y adonne parfois même avec passion.
Bukavu ne ménage aucun effort pour préserver sa réputation de quatrième ville universitaire de la R.D.C (après Kinshasa, Lubumbashi et Kisangani.) : plus de 5 universités et plus de vingt Instituts ou établissements variés d’enseignement supérieur. Des thèses de doctorat s’y défendent depuis 2011.
En dépit de cet état des choses, la question demeure : où lit-on à Bukavu ? la cartographie de la lecture qui s’y dessine ne contredit en rien la réputation de ville universitaire de Bukavu.
La librairie « Livres pour les grands Lacs », avec un potentiel de plus de 1.186.473 titres (fin 2012), constitue le levier qui désenclave la province, et grâce à ses deux branches de Kinshasa, tout le pays. Le 5e de ce fond documentaire est consacré à la littérature.

Pour la lecture des imprimés (incluant la fiction littéraire), 5 bibliothèques passent pour les plus fréquentées :
- Bibliothèque de l’Humanitas du Collège Alfajiri (62 ans), avec 35.000 ouvrages et 1000 abonnés
- Bibliothèque de l’I.S.P./BUKAVU (Institut Supérieur Pédagogique), vieille de 47 ans, avec 32.035 (la plupart en vieil état) et 924 abonnés
- Bibliothèque de l’Alliance Franco-Congolaise, jeune de 17 ans, avec 9.247 ouvrages dont 845 pour la littérature et 234 abonnés
- Bibliothèque du CERDAF (Centre de Recherche et de Documentation Africaine), jeune de 16 ans avec 8.241 ouvrages (très peu pour la littérature) et 628 abonnés
- Bibliothèque du projet SESAM FRANCE (installée à l’ISP-Bukavu), créée il y a 2 ans, avec un fond documentaire comprenant autour de 3.000 ouvrages. Le nombre d'abonnés n'est pas précisé. 

Pour la lecture du numérique, Bukavu constitue la troisième ville parmi les mieux servies de la RDC, avec un campus numérique de l’Agence Universitaire de la Francophonie (A.U.F.). Elle a été servie après Kinshasa et Lubumbashi. Avec ce campus, les lecteurs peuvent accéder à un fond documentaire important et à jour dans toutes les productions mondiales. Il est aussi possible d’organiser un enseignement à distance et des défenses de thèses et de mémoires avec des lecteurs à distance (voir l’image n° à compléter).

Ancien chef-lieu d’un district qui dépendait de Bukavu  Goma n’est devenu chef-lieu de province qu’en 1987. L’on comprend facilement qu’il soit moins outillé que Bukavu. Mais la lecture n’y est pas pour autant négligée.
La librairie « La lave littéraire », moins fournie que celle de Bukavu, essaie de répondre aux besoins des lecteurs gomatraciens. Mais les efforts à fournir sont encore énormes.
Du côté des centres de lecture, signalons la présence de « la Maison des jeunes », située sur l’Avenue du collège, qui constitue le pôle d’attraction de tous les lecteurs de Goma. Nos recherches ne nous ont pas permis d’atteindre de meilleurs résultats. 

On peut bien le constater, les guerres et les autres formes de violences qui détruisent les milieux ruraux de l’Est de la R.D.C n’ont pas empêché Bukavu et Goma de s'adonner à la lecture. Les bibliothèques et deux librairies y sont opérationnelles. Toutefois, il se pose encore la nécessité de s’approvisionner en ouvrages récents. Ce qui inciterait à coup sûr les lecteurs à affluer encore vers les bibliothèques.

L'auteur de cet article, Jean-Claude Makomo Makita, est professeur à l'Institut Supérieur Pédagogique de Bukavu - RDC.


mardi 26 mars 2013

Chinua Achebe

Tirée du Guardian, une belle image du jeune homme qui nous conta "Le monde s'effondre".




dimanche 24 mars 2013

Quelle est cette Afrique qui vient ?


Pour la clôture de festival Étonnants Voyageurs tenu à Brazaville, Sonia Rolley de la RFI rencontrait l'écrivain franco-congolais Alain Mabanckou, co-initiateur de l'événement ...

L'Afrique qui vient est-elle anglophone ?
Non, elle est aussi lusophone, arabophones. C'est vrai qu'il y a un grand dynamisme du côté de la littérature anglophone avec notamment le Nigéria, pays le plus peuplé d'Afrique avec une longue tradition d'écrivains (Amos Tutuola, Chinua Achebe, Wole Soyinka - prix Nobel de littérature), mais aussi aussi troisième cinéma au monde en termes de titres de fims publiés par an, après Bollywood et Holywood.
Vous qui êtes professeur de littérature francophone, comment justement expliquez-vous que l'on sente une plus grande effervescence chez les artistes anglophones ?
Parce que ces derniers ont déjà géré la question coloniale. Ils se sont libérés de cette manie de toujours expliquer leurs défaillances en invoquant la colonisation. Les anglophones, quand ils écrivent leurs textes, sont reçus de manière normale : il n'y a pas cette distinction que l'on retrouve côté francophone où vous avez des écrivains « franco-français » d'un côté, et les autres, sensés venir des anciennes colonies ou des pays dans lesquels la France a une certaine histoire. Les anglophones ont aussi géré la question de la négritude : ils ne sont pas forcément dans l'exhibition de ce qui pourrait fonder leur civilisation, ils sont dans la description de la réalité. Ce n'est pas une littérature forcément idéologique, c'est une littérature qui épouse les réalités quotidiennes. Nous avons beaucoup de problèmes dans le monde francophone : beaucoup de questions historiques ne sont pas réglées avec la France, il y a la question des étrangers en France au cœur des grandes discussions, le refus parfois de la France de traiter à égalité les écrivains venus d'autres pays francophones, et enfin, une centralisation de la littérature française à Paris, sur les rives de la Seine...
L'anthologie commence par un texte d'un écrivain kenyan, Binyavanga Wainaina, qui décrit dans une nouvelle acerbe « Comment écrire sur l'Afrique », une critique de l'image que l'on colle à l'Afrique : est-ce une manière d’enterrer une certaine idée de l'Afrique ?
C'est une manière sarcastique de faire le bilan des préjugés qui entourent le continent : beaucoup, pour en parler, emploient un vocabulaire formaté. Et ce dernier nous fait du mal, depuis longtemps : misère, souffrance, guerre civile, génocides, etc... il n'y pas que cela en Afrique ! Il faut aussi voir cette soif de la jeunesse africaine pour la culture, etc. Et c'est aussi le sens de ce festival : pour dire que malgré les zones d'ombre que l'on voit sur le continent, il existe de l'espoir, et cet espoir, c'est l'Afrique qui naît, qui vient.
Peut-on dire que ce texte est le symbole d'un vent de révolte qui souffle sur le continent, notamment à travers internet, un ras-le-bol d'une image de l'Afrique imposée aux Africains ?
C'est peut-être aussi un ras-le-bol, mais cela participe toujours de la définition peut-être de la conscience que nous avons : il faut que nous soyons nous-même pour que les autres nous respectent.
Si vous devriez résumer cette "Afrique qui vient" ?
C'est une Afrique qui refuse le fatalisme et une définition imposée de soi par l'Occident. C'est une Afrique dont le bouillonnement culturel est en train de progressivement faire jour.

lundi 18 mars 2013

Où lire ?



Chers lecteurs, voici l'éditorial des pages littéraires du Magazine Iwacu de mars ... 
La question mérite d'être posée : où lire, en effet ?

Alors que l'Afrique littéraire rentre de Brazzaville avec ses 90 écrivains venus de partout rencontrer l'Étonnant Voyageur qu'est la richesse artistique, que « les créateurs du possible » y ont parlé du Mali, de la peinture, de l'islam, de la guerre, cotôyé et commenté le cinéma et le rap africain, au Burundi nous allons vers ailleurs, mais toujours dans le registre de la rencontre culturelle.
L'entrée progressive de l'anglais dans notre quotidien.

Nous étions avertis avec notre entrée dans la Communauté swahilophone et surtout anglophone des pays de l'Afrique de l'Est. Désormais, l'anglais se retrouvera aussi dans nos poèmes, nos romans, nos lectures de loisir : avec une formidable énergie, l'ambassade des États-Unis implante calmement et sûrement les relais de sa culture et de sa langue. Au plus près de ceux qui en réclameraient facilement : les étudiants.

Pendant ce temps, à travers le pays, le français est là, dans les lycées et les universités, dans les quelques journaux qui trainent au coin d'un bureau ou au marché comme emballage de sel ou de frétins, ou encore, dans ces fameux Centres de lecture et d'animation culturelle, financés par la Francophonie (que nous célebrons d'ailleurs en ce mois de mars), fréquentés majoritairement par les élèves, et quelques rares adultes.

Où lire ?, au Burundi, au Rwanda, en RDC (ces pages littéraires s'étant limité à l'Est de cet immense pays).

La question est peut-être mal posée, finalement : au Burundi, où lire le kirundi ?, par exemple.

Par Roland Rugero

lundi 4 mars 2013

Violences dans le roman négro-africain francophone : cas du Rwanda


Drames, tragédies, massacres, génocides, ou « simplement » meurtres : les littératures africaines, en miroir à l'histoire du continent, en parlent souvent. Un sujet qui a passionné Emmanuel Ahimana à la tête du département de Littérature à l’Institut Supérieur Pédagogique de Kigali (KIE) depuis février 2002, et dont nous reproduisons les grandes lignes de la thèse1.


Emmanuel Ahimana (à droite, ici avec l'écrivaine
malgache Michelle Rakotoson) travaille actuellement
sur la traduction en kinyarwanda des
Carnets secrets d’une fille de joie, de Patrick Ilboudo.
La Shoah et l’Itsembabwoko : résurgences intertextuelles ?

La contribution arborée par « devoir de mémoire » est avant tout un geste de compassion, de solidarité fraternelle, « profondément humaine, nécessaire et respectable.2» Elle est aussi une « réaction au long silence des Africains3 » passifs face à un désastre singulier sur le continent. L’absence immédiate de textes littéraires serait-elle imputable à une paralysie qui correspondrait à la pensée d’Adorno4 ? Bien entendu, le romancier ne peut jamais « parler du génocide avec la froideur scientifique qu’exigerait l’historien.5 » Son acte d’écrire implique certes un engagement personnel mais l’œuvre produite est le reflet de la conscience collective.

La lecture des trois romans, ainsi que d’autres textes autant fictifs que testimoniaux, « du dedans et du dehors », permet de repérer quelques échos intertextuels, d’abord, entre eux, ensuite, par rapport à la littérature de la Shoah. Les atrocités des violences extrêmes apparaissent en toile de fond de la peinture des figures symboliques qui sont, d’un côté, représentées généralement par les enfants immaculés « symboles du paradis perdu6 » et les images des femmes martyrisées, et de l’autre, par les représentations diaboliques des bourreaux vus sous l’image des « monstres » dont l’accent est souvent mis sur leurs actes barbares, comme par exemple le fait de brûler à l’essence les vaches des voisins.

L’interprétation de ces leitmotive et surtout la recherche du sens dans un univers « insensé » exigent au préalable une lecture des théories en la matière. Celles-ci permettent en effet d’ « approcher » objectivement les différents aspects relevés. Les manifestations intertextuelles sont parfois enclines à une herméneutique particulière ; la méthode dialectique semble la mieux indiquée pour apporter des éclaircissements fructueux.

Par ailleurs, il ne s’agit pas seulement de révéler les réminiscences intertextuelles mais il faut aussi interpréter les processus de basculement dans les violences extrêmes. Enfin, il faut également retenir que les fictions et les témoignages sur le génocide constituent généralement une écriture mémorielle et une parole thérapeutique. Par-delà l’engagement, bien plus loin que le témoignage, les écrivains appellent à la vigilance, pour que « le plus jamais ça » ne devienne « l’intertexte de tous les génocides passés » et ne continue probablement de l’être au cours des siècles à venir.

Une littérature voyoue ?

L’écrivain africain se sent constamment « obligé » de pointer du doigt la misère et la violence qui rongent son continent. Les romans dits de « la pourritique » mettent au ban les régimes politiques « pourris », gangrenés par la corruption, le népotisme, la dictature, et caractérisés par le maintien de la population dans la misère qui se métamorphose parfois en une spirale de violence. Comme s’il n’avait plus confiance aux humains, l’écrivain, tel par exemple Patrice Nganang (Temps de chien : Chronique animale, Paris, Le Serpent à Plumes, 2003), choisit « le chien », lui qui a toujours été rejeté et méprisé dans les sociétés africaines, de perpétuer la parole sage et lucide, capable de réveiller certaines consciences endormies. Celles-ci se réfugient dans les bars de « la honte », et à l’ombre, elles partagent également la misère sexuelle.

Sans prétendre démontrer que les violences extrêmes dont a souffert l’Afrique sont à l’origine d’une telle situation, la plupart des guerres civiles ou de libération ont été menées en vue de mettre fin à cet état de choses. Certains romanciers, sans doute dans une perspective de témoignage et de dénonciation, jouent sur les cordes de la cruauté et du voyeurisme pour retenir l’attention du lecteur. Les années les plus sombres du continent africain sont traduites dans les fictions qualifiées entre autres par Michel Naumann de « littérature voyoue ». Les romanciers, dépassés par les événements à représenter, s’en prennent surtout à la langue qu’ils dénaturent et violentent comme si elle y était pour quelque chose. Ils la nourrissent d’une écriture scatologique, et l’omniprésence de la chair ou du « bas matériel » leur sert d’ingrédient. La violence de l’oppression trouve ainsi échos dans la violence de la création.


Le génocide survenu en 1994 au Rwanda et qui a donné lieu à la publication d’une série de fictions écrites par « devoir de mémoire » ne s’inscrit-il pas dans la continuité de cette spirale de violences extrêmes ? Continuité ou rupture (?) toujours est-il que l’année 2000 aura signé une nouvelle page de la littérature négro-africaine avec essentiellement la sortie des textes de fiction sur le génocide des Tutsi au Rwanda. Parmi eux, trois romans, Murambi le livre des ossements de Boubacar Boris Diop, La Phalène des collines de Koulsy Lamko et L’Aîné des orphelins de Tierno Monénembo, sont singulièrement intéressants, non seulement parce qu’ils traitent d’un même référent (une violence extrême indescriptible) dans une langue variée et recourant aux emprunts parfois un peu forgés/forcés du kinyarwanda, mais aussi du fait de la fonction référentielle avec d’importantes allusions intertextuelles à la littérature de la Shoah ou encore en ce qui concerne la notion d’engagement et de témoignage.

En fin de compte, les fictions littéraires africaines, tout en décriant toutes les formes de violences extrêmes, ont favorisé, de manière générale, une écriture où « demain serait toujours l’évolution positive d’hier7 », pour reprendre la pensée de la philosophe Isabelle Favre. Cette formule récapitule tous les « mots de la fin8 » des romans de notre corpus. Diop et Lamko croient en la vie qui sera perpétrée par les enfants de Zakya (et Cornelius) ou celui de Pelouse et Muyango. Pour Monénembo, même après le passage du diable, il y a toujours de la vie qui reste. Ce happy-end débouche, selon les théories d’Hannah Arendt, sur un commencement, une affirmation de vie, de liberté et d’espoir.


1 Le doctorat en Etudes Française, Francophones et Comparée a été obtenu à l’Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3(France)
2  Africultures, n° 30, Rwanda 2000 : Mémoires d’avenir, septembre 2000, Paris, L’Harmattan, p. 4.
3 Ibidem., p. 5.
4 Allusion à la célèbre formule d’Adorno : « Après Auschwitz, c’est un acte barbare que d’écrire un poème. »
5 Africultures, n° 30, Op. cit., p. 5.
6 Nous empruntons l’expression à Isabelle Favre, « Hannah Arendt, Boris Diop et le Rwanda : correspondances et commencements », Présence Francophone, n° 66, p. 119.
7 FAVRE, I., Op. cit., p. 118.
8 LARROUX, G., Le Mot de la fin. La clôture romanesque en question, Paris, Nathan, 1995.