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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

lundi 17 décembre 2012

Ecrire en français au Burundi


Poète, nouvelliste et journaliste burundais, Thierry Manirambona répond lui aussi à la question "Que veut dire écrire en français ?", en s'intéressant au processus de fabrication de l'écrit en français : « Le travail est exigeant, une exigence doublée, triplée par la perspective de milliers d'yeux qui vont lire le texte publié, édité ».
Dans un pays où la lecture n’est pas un évènement fréquent et où la pratique du français est bousculée par l’apprentissage d’autres langues, il n’est pas très difficile de prédire l’avenir d’un texte littéraire écrit en français et encore moins du sort de son auteur.
Ceci est une réalité au Burundi, et au Rwanda. En dehors de ces pays, la situation change. Loin des frontières, il est des textes, d’auteurs burundais ou rwandais, écrits en français, qui font leur chemin jusque loin. Le roman Notre-Dame du Nil, pour lequel l’écrivaine rwandaise Scholastique Mukasonga a obtenu mercredi 7 novembre 2012 le Renaudot est un bel exemple. Mais que se passe-t-il quand l'auteur manque la notoriété que confèrent ces honneurs venus de Paris ?
Le livre et le café, des produits de luxe
Un livre coûte doublement cher, au Burundi : aussi bien pour le produire que pour l'acquérir. Aux affres d'une édition qui exige un véritable parcours de combattant, l'auteur se retrouve devant un lectorat burundais (maigre) qui hésite à dépenser pour un produit de luxe, dont il peut bien se passer surtout par les temps qui courent. Se nourrir, se soigner, s'habiller, les priorités sont claires dès le début. Or, lire, c’est d’abord chercher un livre (l'acheter, l'emprunter, ...)
Lirait-on plus au Burundi si le livre était gratuitement distribué à la sortie du marché ? Ce n’est pas sûr. Car lire demande aussi un investissement personnel important : son temps, une énergie cérébrale (comprendre la langue, saisir le sens et le mouvement du récit…) que la plupart ont tôt fait de préserver. Comment en serait-il autrement si, dès l'enfance, cette culture du livre n’existe pas ? Contrairement à ce que l’on peut constater dans les pays anglophones qui nous entourent : acheter le journal le matin à Kampala est un geste naturel. Et acheter un petit roman qu’on va lire pendant le voyage est aussi normal au Kenya qu’écouter la radio au Burundi. Comme il est rare de voir un Burundais moyen boire du café, réservé aux Blancs, aussi est-il exceptionnel de voir un Burundais lire le soir en rentrant du travail.
Le français, une langue « compliquée »
Ajoutons à cela le fait qu'écrire en français est exigeant, une exigence doublée, triplée par la perspective de milliers d'yeux qui vont lire le texte publié, édité. Cela demande un travail important : la grammaire, le style et tous ces petis détails d’ordre linguistique auront fait pester plus d'un. Et il n’est pas rare, au Burundi, de tomber sur un texte dont l’auteur ne ménage pas du tout Maurice Grévisse et sa rigueur. L’enseignement et la pratique du français qui seront mis en question.
La lecture étant irrégulière et l’écriture hésitante, il est évident que le texte français produit dans un tel contexte ne fera pas le tour du monde.
Mais si l’agriculteur burundais ne boit jamais du café considéré comme un produit de luxe au Burundi, il a quand même intérêt à bien entretenir son caféier sachant que de la vente du café participe à sa vie … Ainsi, celui qui entend écrire en français, au Burundi, a-t-il intérêt à s'engager en connaissance de cause. Et en n'oubliant pas que l'anglais, avec ses valeurs, participe à retrécir encore plus son marché.

jeudi 13 décembre 2012

Rencontre avec Fiston Nasser Mwanza : « …Écrire en français, c'est appartenir à une fratrie multiculturelle »

Akademie Graz, Journée européenne des langues, 26 septembre 2011
(Droits réservés)
Médaille d'or au Jeux de la Francophonie de Beyrouth pour sa nouvelle La nuit, cet enfant de Lubumbashi - en RDC vit désormais à Graz, en Autriche. Doctorant en littérature, présent quand il s'agit des lettres que ce soit dans sa patrie ou ailleurs, le travail de Fiston va de la poésie à la nouvelle, en passant par le théâtre. L'écrivain répond à Roland Rugero, sur la question des pages littéraires du Magazine Iwacu de décembre 2012 : " Que veut dire écrire en français ? "

Que veut dire « écrire en français » pour toi ?

C'est appartenir à une fratrie multiculturelle: de Jean Bofane à Michel Tremblay en passant par Milan Kundera, Assia Djebar, Edouard Glissant, Louis Aragon, Alain Mabanckou... C'est le fait de s'exprimer dans une langue africaine, une langue qui m'est proche, ma propre langue. C'est aussi un accident de l'histoire. Si le pays était une colonie russe, nous écririons dans une autre langue.

Quel sens donnes-tu à la tenue du dernier sommet de la Francophonie dans ta terre natale ?

Le Congo est le premier pays francophone devant la France. Il était temps qu'un telle rencontre se tienne en Afrique centrale. Je pense que c'est une marque de reconnaissance.

En 2009, tu recevais une médaille d'or aux 6èmes Jeux de la Francophonie ... Qu'est-ce que cela a changé dans ton parcours artistique ?

C'est une récompense honorifique. Rien n'a vraiment changé dans mon parcours. On continue à écrire, on se débrouille...

Que ressens-tu quand on parle de la « génération montante de la littérature en RDC » ?

Une double responsabilité. La "génération montante" doit relever le défi sur le plan de l'écriture. Le Congo des années 80 a fait une contribution exceptionnelle au monde littéraire avec Valentin-Yves Mudimbe, Pius Ngandu Nkashama, Georges Ngal, pour ne citer que ceux-là. Il appartient à la nouvelle génération de (ré)écrire l'histoire nationale et de raconter le pays, un pays n'existant que sur papier. Selon moi, et mon évangile n'est pas celui de Saint-Paul, les jeunes écrivains congolais gagneraient à travailler dans l'optique du Groupe 471. Je demeure optimiste au regard de ce qui se produit au pays et dans la diaspora.

Parles-nous un peu de cette aventure Moziki Littéraire avec Bibish Mumbu et Papy Maurice Mbwiti ... Pourquoi une voix à trois sonorités ?

Le Moziki littéraire est un pont (in)visible entre Kinshasa, Graz et Montréal pour contourner nos solitudes respectives. Nous nous fixons des thèmes sur lesquels nous écrivons et Africultures sert de relais en diffusant nos textes à travers son site internet2. Cette entreprise est née d'une urgence, ce besoin de raconter à l'autre ses frustrations, sa joie de vivre là où le pays n'existe souvent plus que sur papier. L'ensemble des textes sera publié sous forme d'une anthologie qui sera distribuée dans les écoles de Kinshasa et de Lubumbashi, principalement celles par lesquelles nous sommes passés. L'année prochaine, nous présenterons notre anthologie au Festival des Francophonies en Limousin.

Tu publies en allemand, aussi ... A quelle conversations peut-on s'attendre entre tes textes en français et ceux en allemand ?

Ma littérature garde la même fêlure nonobstant la langue d'écriture et de traduction. Je modifie toujours les textes destinés à la traduction en changeant le déroulement de l'intrigue ou le nom du personnage. Lorsque j'écris en français pour une revue de langue allemande, il m'arrive de proposer directement à mon traducteur la traduction de certaines phrases. Je n'ai pas de pitié pour moi même, ni pour mes textes. Suivant la langue, je coupe, je falsifie, je corrige, je modifie, j'enlève, je change la tête du personnage ou même son sexe à l'instar du personnage central de ma pièce Gott ist ein Deutscher (Dieu est un Allemand) jouée récemment en Autriche qui est de sexe masculin dans la version française.

Quel mot est le plus étrange pour toi, dans la langue française ? Et pourquoi ?

Caravansérail. Le mot semble signifier autre chose que ce qu'il désigne ...

Quels projets littéraires ? Fiston : « Mon recueil de poésie Der Fluss im Bauch/ Le Fleuve dans le ventre sort au plus tard en janvier 2013 aux Editions Tannhäuser. Je travaille sur le scénario d'un film qui relate les aventures kafkaïennes d'un saxophoniste congolais. Je viens de traduire en allemand Et les moustiques sont des fruits à pépins, une de mes pièces de théâtre dont la mise en lecture est prévue pour l'année prochaine en marge d'un festival des jeunes auteurs. Avec Patrick Dunst, un ami saxophoniste, nous avons des lectures de Naima, un dialogue entre la poésie et le saxophone »
________________________________________

1 Groupe 47 : désigne un ensemble d'écrivains de langue allemande créé en 1947, actif jusqu'en 1967 et ayant eu une importance considérable pour le renouveau de la littérature allemande d'après-guerre

lundi 3 décembre 2012

À Lubumbashi : mettre l’écrivain devant ses responsabilités

Photo de groupe des participants à la Conférence avec le Gouverneur de
la province de Katanga
En prélude au XIVème Sommet de la Francophonie qui eut lieu à Kinshasa (RDC) du 12 au 14 octobre 2012, s’est tenu à l’Université de Lubumbashi (Chef-lieu de la Province du Katanga), sous la présidence du Professeur Yoka Lye assisté de M. Boniface Sprimont, délégué de Wallonie-Bruxelles International, un Congrès International des Écrivains Francophones du 24 au 26 septembre 2012. 

Par le Pr. Juvénal Ngorwanubusa

Cet événement avait regroupé divers acteurs de l’espace francophone comme les écrivains, penseurs et critiques sur le thème « Littérature, sociétés et renouvellement des imaginaires », avec une place particulière accordée aux Associations d’écrivains comme l’Association des écrivains du Fleuve Congo (AEFC) et la Plateforme des Ecrivains des Grands Lacs Africains Sembura, cette dernière ayant été représentée par sa coordinatrice Ana Tognola et le Professeur Juvénal Ngorwanubusa en provenance du Burundi, et rejoints à Lubumbashi par leurs collègues de Bukavu.
Le Congrès avait tenu à associer à ses travaux l’ONG belge Coopération pour l’Education et la Culture (CEC) qui, à Bruxelles s’attache à faire connaître et à diffuser la production littéraire africaine, ainsi que de jeunes créateurs en herbe comme ceux de l’Association Libr’-Ecrire, qui n’est pas sans quelque ressemblance avec le Café-Samandari de Bujumbura.
Dès les cérémonies d’ouverture, le Recteur de l’Université de Lubumbashi, qui a, à juste titre, vanté l’apport de son Institution comme le creuset du savoir et de la culture, ayant produit toute une génération d’écrivains comme Mudimbe, Ngal, Ngandu Nkashama, Clémentine Nzuji etc., a exhorté ceux qu’il nomme les « favoris des Muses » ou les « chevaliers de la plume » à être la conscience du monde et à défendre en français l’humanisme et toutes les valeurs partagées par l’humanité tout entière à l’instar de Rousseau, Voltaire et toute la galaxie de penseurs des Lumières.
Quelle littérature pour quelle société
Le Professeur Yoka Lye est revenu sur l’utopie positive que véhiculent les hommes de rêve, tout en posant ouvertement la question de savoir quelle littérature pour quelle société, avant d’affirmer, à la suite de Dostoievski que « la beauté transfigurera le monde ».
Après avoir remercié tous les amis et complices de l’Organisation Internationale de la Francophonie qui ont permis la tenue de ces assises, Madame la Déléguée de Wallonie-Bruxelles n’a pas hésité à qualifier les écrivains de « lobby politique », dans le sens noble du terme avant de plaider en faveur de l’exemption fiscale du livre, tant il représente un marché avec un nombre considérable d’acheteurs potentiels en Francophonie. Enfin, le Directeur de Cabinet du Gouverneur de la Province du Katanga, parlant en lieu et place du chef de l’exécutif provincial empêché, a solennellement ouvert le Congrès, en insistant à son tour sur le rôle des femmes et des hommes de Lettres dans le développement des Nations.

Le Pr. Juvénal Ngorwanubusa donne
cours à l'Université du Burundi,
dans la Faculté des Langues et
Littérature africaines
Amener le lecteur à se penser et penser le monde autrement
Le Professeur Mukala Kadima Nzuji, auquel avait été confié le rôle de prononcer la conférence inaugurale à tenu à rappeler les congrès de même objet qui, tant à la Sorbonne en 1956 qu’à Rome en 1959, avaient le même leitmotiv, toujours d’actualité, de mettre l’écrivain devant ses responsabilités envers les peuples du monde noir et en particulier dans les sociétés en crise, car, ajoute-t-il, « la littérature a vocation et mission d’amener le lecteur à se penser et penser le monde autrement ». Il n’a pas manqué de suggérer de mettre la littérature au diapason de tout un chacun, du professeur de l’Université à l‘éboueur, en mettant l’accent sur la littérature de la chanson (Mory Kanté, Youssou N’dour), qui invente sa langue à l’intérieur et à travers laquelle le peuple se reconnaît et s’assume. L’affirmation, délibérément provocatrice qu’il a lancée, se faisant l’écho de Jacques Rabemananjara, selon laquelle ce congrès était le « congrès des voleurs de langue », a suscité par la suite des débats nourris avec des participants qui lui préféraient la notion d’ « emprunteurs de langue » ou même qui revendiquaient le droit de se l’approprier comme un patrimoine commun à toute la famille francophone, certains autres assumant avec plaisir le statut de « voleur » (voire de « violeur ») de langue dans le but de restituer.

mardi 27 novembre 2012

A la découverte de « Notre-Dame du Nil » de Scholastique Mukasonga, le Renaudot 2012


Le roman « Notre-Dame du Nil » de Scholastique Mukasonga (Gallimard, coll. Continents Noirs, 240 p.) est paru cette année chez Gallimard, dans le sillage d'une trilogie initiée en 2006. Scholastique Mukasonga y exhume le spectre d'une mémoire ensanglantée, maniant avec habileté la force caustique. Elle est venue à l'écriture avec le génocide rwandais de 1994. Alors exilée en France, elle apprendra que vingt-sept membres de sa famille ont été massacrés. Parmi eux, sa mère. Elle a usé de sa plume pour "survivre" à l'ombre portée de ce drame collectif, "faire le deuil", témoigner.
Rwanda. Crête Congo-Nil. Début des années 1970. Plongée dans un microcosme étouffant : un lycée imaginaire du nom de Notre-Dame du Nil (ndlr : qui rappelle étrangement le Lycée Notre Dame de Cîteaux à Kigali), pensionnat catholique pour filles appliquant un quota "ethnique" limitant à 10 % les élèves tutsi. Construit au lendemain de l'indépendance (1962), l'établissement est situé non loin de l'une des sources du Nil, près de laquelle se trouve une statue représentant une vierge noire. "C'est Mgr le Vicaire apostolique qui a décidé d'ériger la statue.
L'élite du pays - ministres, militaires haut gradés, hommes d'affaires… - y envoie ses filles dans l'idée de leur offrir une éducation prestigieuse, d'en faire l'avant-garde de la promotion féminine, et de s'assurer de leur virginité jusqu'au mariage grâce à l'éloignement des tentations de la capitale, Kigali.
En octobre, à l'occasion de la rentrée scolaire, un spectacle haut en couleur attire les regards : le défilé des voitures avec chauffeur conduisant les élèves au lycée - Mercedes, Range Rover, grosses jeeps militaires…Dans ce pensionnat fréquenté essentiellement par des jeunes filles hutu, les élèves tutsi sont soumises à un régime d'exclusion et d'oppression sournois, occasion d'une sorte d'"exil intérieur".
Ce nez d'une vierge noire qu'une lycéenne ne saurait voir
Gloriosa, orgueilleuse lycéenne hutu fille de ministre, participe à l'oppression. Elle se lancera dans une série de sinistres projets, dont un tragicomique : la destruction du nez de la statue de la vierge noire. Argument avancé pour justifier cet acte : "C'est un petit nez tout droit, le nez des Tutsi. [...] moi, je ne veux pas d'une Sainte Vierge avec un nez de Tutsi".
Plan d'action développé par Gloriosa : "on casse le nez de la statue et on lui colle un nouveau nez [...] j'en parlerai à mon père [...] D'ailleurs il m'a dit qu'on allait détutsiser les écoles et l'administration. Nous, on va d'abord détutsiser la Sainte Vierge". Acte militant que cette lycéenne mettra en œuvre et parviendra à glorifier grâce à un stratagème machiavélique.
Plus tard, cette farouche activiste anti-tutsi soutiendra activement l'intervention violente des JMR (Jeunesse militante rwandaise) dans le lycée. Scholastique Mukasonga livre une série de charges critiques sur la duplicité et l'hypocrisie du personnel religieux en charge du pensionnat et sa complicité avec des pratiques d'exclusion discriminatoire. L'aumônier, le père Herménegilde, se "distinguera" entre tous. Il fera notamment devant les lycéennes l'éloge du Manifeste des Bahutu de 1957, sinistre document ayant joué un rôle dans l'exacerbation de l'opposition Hutu/Tutsi…
M. de Fontenaille, un "vieux Blanc" résidant non loin du pensionnat, se sent quant à lui l'allié du peuple opprimé. Il s'est inventé une mission : retrouver la "mémoire perdue" des Tutsi. Ancien planteur de café - il avait espéré faire fortune avec cette denrée - reconverti en peintre-chercheur quelque peu mystique, il projette sur le Rwanda ses fantasmes foisonnants. Les murs de sa maison sont ornés de cornes d'antilopes, défenses d'éléphants, reproductions de fresques représentant des pharaons noirs sur leur trône, des dieux à tête de crocodile…
Tentant de retracer les liens entre le peuple tutsi et une Égypte de pharaons noirs, M. de Fontenaille s'évertue à dresser les portraits de lycéennes tutsi dont les traits lui rappellent ceux de la déesse Isis, à qui il a dédié dans son jardin un temple d'inspiration égyptienne. "Lui, ce qu'il veut, c'est mettre en scène sa folie. »
L'histoire mise en scène dans Notre-Dame du Nil prend la forme d'un drame en devenir. L'ouvrage s'inscrit dans l'ordre d'une tragédie. Il se profile une sorte de préambule au génocide de 1994.Notre-Dame du Nil est servi par une écriture raffinée et sans pathos. Scholastique Mukasonga y manie avec habileté la force caustique.

L'article est de Christine Sitchet, publié initialement sur http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=10957


dimanche 18 novembre 2012

Découverte : Bibish Mumbu, une autre voix de la RDC




Bibish (Marie-Louise), 37 ans, auteure notamment 
de « Samantha à Kinshasa » a fait des  études de 
journalisme.  A lire, entre autres, ses articles et 
publications sur  www.africultures.com 
(©Christine Verdussen)
Écrivaine et journaliste congolaise, Bibish Mumbu nous décrit, enjouée, grave et souriante, son voyage entre Kinshasa et Montréal...
Par Roland Rugero
__________________
Cet article a été initialement publié dans les pages littéraires d'Iwacu Magazine

Tout part d'un reportage dans Africultures. Les Nuits de l'Afrique tiennent leur 25ème édition et Marie-Louise Mumbu, dite Bibish (le tant aimé surnom est de son père) y participe. Elle note, de son écriture virevoltante : " Et quand ils [Les Kassavs] ont lancé "tout le monde maboko, ah mama e maboko ", on l'a ressenti comme un spécial clin d'œil pour nous, mon mari et moi, portés sur des notes de musique et traversant les deux continents, nos souvenirs, la vie. " Ce fut ma première question. Qu'elle nous re-explique ce qu'elle a vraiment ressenti à ce moment-là: " C’était comme être dans un espace donné mais avec des sons et des images d’ailleurs. On était à Montréal, entourés d’un monde fou et pourtant on avait dans les narines des odeurs de Kinshasa et le souvenir de notre jeunesse ». Et de se souvenir « comment certains amis, pour aller voir les Kassav au Palais du Peuple [à Kinshasa], avaient raconté des histoires à leurs parents… comment d’autres, malgré le refus des parents, avaient réussi à voler la voiture et embarquer des copains pour aller danser au rythme de tout le monde maboko ! » 

Verdict : « Ces Nuits d’Afrique-là ont réussi à mêler Kinshasa et Montréal pour n’en faire qu’un seul espace avec comme point commun Kassav et nous. » Deux villes, deux pays. Quelle identité l'auteure congolaise se donne-t-elle par rapport à la cité canadienne ? « Je reste citoyenne du monde, l’univers étant ma patrie et présentement je vis à Montréal… Ma relation première avec cette ville est d’abord personnelle avant d’être professionnelle, étant venue ici rejoindre mon mari. » Point donc de déchirement. Au contraire, « je suis en train de découvrir la ville, ses logiques, ses gens, ses mœurs, en me sentant complètement à mon aise. Je recherche, ici, une essence particulière, comme j’en ai trouvé une à chaque fois dans les différentes villes et différents pays où j’ai séjournés » décris Bibish.

Kinshasa, Montréal. « Le mot commun c’est le français, et donc le croisement reste possible ! », analyse la dramaturge. Dans cette vie ailleurs, loin, à des milliers de kilomètres de ses racines, Bibish découvre une langue familière, mais autre, car « chaque peuple invente sa langue, le parisien, le bruxellois, le kinois ou le québécois, et ça se ressent soit dans les expressions, soit dans l’accent ». L'a-t-elle apprivoisée ? « Je dois avouer que le français québécois ne m’a encore gagné complètement, je souris à certaines expressions, je me refuse à l’accent qui se refuse à moi aussi, je ne suis pas là depuis assez longtemps pour y prétendre… »

Entre le français de la capitale congolaise et le québécois, « l’autre point commun c’est moi. Qui raconte, qui vit dans les deux mondes, qui porte toutes mes identités, qui garde mon essence, la principale, puisée dans le lac Mobutu à Bukavu, ou au Kasaï occidental chez le Mukua Luntu le plus important que je connaisse – mon père, ou dans les rues et boulevards et théâtres de Kinshasa la belle entre le Motema Mpiko de mademoiselle De Meyer et la 21ème promotion de l’Institut des Sciences et Techniques de l'information, entre mes ateliers d’écriture et les émissions radio et télé qui m’ont invitée ».

A Montréal, rencontre-t-elle des auteurs venus d'Afrique ? « Il y a des rencontres d’auteurs de partout, je ne les ai pas tous répertoriés encore. Mon souhait, c’est de se mélanger le maximum possible », annonce Bish. Mais attention : « Les rencontres d’auteurs venus d’Afrique seraient intéressantes si elles sont axées sur la confrontation et l’échange. Je viens déjà d’Afrique, je ne vais pas me cantonner dans les milieux black africains et en même temps me contenter de ces rencontres ». Et voilà que Mme Mumbu est jéjà en contact avec le Centre des auteurs dramatiques – CEAD, « une structure qui organise des rencontres d'Amérique latine, auteurs jamaïcains, auteurs belges ou français, auteurs d’Afrique ». Quand « diversité » n'est plus un slogan...

mercredi 17 octobre 2012

Baho!


Natasha Songore dans Inspires U :

Baho! (vis! en Kirundi) Injonction ou peine de vie, un roman qui sent bon le Burundi, une douce invitation à la découverte d'une langue foisonnante de milles et uns proverbes, d'une sagesse ancestrale et à l'identité singulière. 

Continuer ici.


vendredi 28 septembre 2012

Friday poem


par Sinarinzi Adams


I close my eyes
and from dark you enlight my grieved soul.
A flash of hope
Injected by a hint of possibilities.


My heart is resumed.





mardi 17 juillet 2012

Philosophie de l’Ubuntu vs néolibéralisme, par Guibert Mbonimpa


L’idéologie néolibérale, qui sous-tend la mondialisation, est antinomique avec la philosophie de l’Ubuntu. En effet, la matrice du néolibéralisme consiste à affirmer que l’individu se suffit à lui-même. Quant à la philosophie de l’Ubuntu ou - pour être plus précis - la weltanschauung (vision du monde) des peuples bantous -, elle fait prévaloir l’empathie sur l’égoïsme dans les relations humaines. Cette philosophie de l’interdépendance humaine peut se résumer ainsi : « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes. »

Le philosophe français Danny Robert Dufour assure que le « divin marché », en d’autres termes l’ultralibéralisme, exalte le fonctionnement pulsionnel dans les sociétés occidentales. Le fonctionnement pulsionnel, qui ipso facto instaure la dictature de l’instant, peut se ramener sous la forme du « je veux, je prends ; j’ai envie, je consomme » tandis que le lien se construit dans la durée. Ainsi dans un monde où les êtres humains sont incités au fonctionnement pulsionnel, le lien qu’ils tissent avec leurs semblables est relégué au second plan.

Or, trouver un frère et partager est un besoin fondamental de l’homme. Ce partage se traduit aussi bien dans l’expérience du banal que du spirituel. Il faut cultiver l’empathie pour maintenir voire enrichir le lien que nous tissons avec les autres. En effet, la qualité d’une relation dépend de notre capacité à considérer autrui comme un alter ego avec lequel nous partageons, les émotions, les besoins et les aspirations.
Dans un tel contexte marqué par l’esprit de consumérisme, que devons-nous faire pour préserver notre âme dans la mondialisation ? Autrement dit, que faire pour que nous continuions à répondre que c’est le « et » qui est le plus important entre toi et moi, du moment que c’est cette conjonction de coordination symbolise le lien ?

Tendant à remplacer les espaces de dialogue traditionnels, les progrès technologiques permettent au besoin de communication, qui est inhérent à la nature humaine, de se déployer à une échelle planétaire. Cependant, sur les réseaux sociaux les plus prisés (Facebook et Tweeter), l’échange n’y est pas la pointe éthique. En effet, l’échange implique la proximité physique, ce qui facilite l’interaction avec autrui, notamment par la vue, l’ouïe et le toucher, le cas échéant. On n’y pratique pas le dialogue au sens senghorien, c’est-à-dire « le rendez-vous du donner et du recevoir. »

Comme remède à cet état de chose, il est plus qu’urgent d inculquer cette weltanschauung à la jeunesse, puisque « l’enfant est le père de l’homme », dixit Nietzche. La création de clubs de dialogue dans les collèges et lycées permettrait, entre autres, la pérennisation de cette vision du monde. Les élèves seraient encouragés à chercher les sujets de dialogue sur tous les supports (télévision, radio, internet, DVD, journaux, magazines, livres, cinéma). Sans oublier de puiser dans l’expérience personnelle. Pas de sujet tabou. Car, la devise y serait les vers de Térence, poète comique latin, dans Le Bourreau de soi-même : « Je suis homme : rien de ce qui est humain ne m’est étranger. » Ainsi, l’école constituerait une valeur ajoutée par rapport aux parents - ou pallierait leur lacune - dans la transmission des valeurs de partage et partant de solidarité.

samedi 30 juin 2012

" Le jour de fête ", de Roland Rugero


Tôt, alors que le coq se raclait encore la gorge,
Les collines, les vertes, les sèches, en roc
Toutes ça et là couchées, avaient dressé leurs oreilles
D'arbres et de feuilles tressées. Elles écoutaient, au loin
Le Tambour d'Autrefois, mûr, divin, rugir

L'enfant était à la fenêtre, anxieux,
Il attendait son ami l'oiseau pour savoir
Pourquoi père et mère ne voulaient pas
Se réveiller, aller aux champs, pieds nus
Entre les mains une manche de houe blessée

L'hirondelle n'est pas venue. Plutôt le moineau
Surgi d'on ne sait où, a noté l'enfant, interrogateur,
S'est présenté à la branche, arrogant, le regard
Fuyant, le bec assuré, pourtant. Et il a parlé
Des choses importantes. Le vent soufflait

L'enfant a écouté les éloges, les intonations,
Des mots évoquant l'espoir, le combat, un python, le sorgho
Le blanc, le noir, un drapeau, des petits-pois, un roi,
Un Dieu, un Prince, des ethnies. Les serres de l'orateur
Tremblaient un peu, tant le discours était historique

Au loin, le Tambour grondait, toujours, sourd,
Et père, « Même Maman! », étaient devenus des paresseux
Tandis que le moineau scandait « Au travail! »
Un voisin est passé devant la maison, un peu fou,
En hurlant : «Indépendance! », puis encore : « Cinquante! »

L'enfant s'est senti dépassé, par toutes ces choses
Dont il ne comprenait rien. L'hirondelle lui manquait
Il s'est recouché. Et quelque part, il a entendu, doux, pudique
Un murmure câlin. Il a souri. Les collines, tout autour,
Prenaient bain dans la rosée. Le jour de fête allait commencer

Roland Rugero, le 10 juin 2012,
Pour mes compatriotes vivant en Haïti

mercredi 27 juin 2012

50 ans derrière nous, ... et devant


Chers amis et membres du café-littéraire Samandari,
Nous avons décidé d’investir la célébration de ces 50 années de proclamation de l’indépendance du Burundi autrement qu’avec notre -désormais- traditionnel café-littéraire du jeudi.

Ce jeudi 28 juin 2012 (demain soir donc), vous êtes invités à participer à un débat pour le moins "ouvert", puisqu’il se déroulera sur cette page du journal Iwacu qui a toujours soutenu notre rencontre. Pendant deux heures, de 18h à 20h (heure de Bujumbura), nous allons aborder, et dans cet ordre, trois questions :
- Qu’avez-vous personnellement appris de ces 20 dernières années avec l’histoire du Burundi ?
- De ces 50 dernières années, quelle est le Burundais (autre que le Prince Louis Rwagasore et le Président Mélchior Ndadaye) qui représente un modèle à inspirer les prochaines 50 prochaines années ?
- Qu’est-ce qui fait la richesse du Burundi ?
Autant d’interrogations qui hantent les générations qui sont les nôtres : celles qui ont assez vécu le passé pour espérer et travailler à améliorer le futur ...
Nous vous espérons nombreux à ce rendez-vous. Par ailleurs, vous pouvez être présents sous votre véritable nom ou avec un pseudonyme ! L'essentiel, c'est le contenu du débat.

Faites passer le message !Retour ligne automatique
L’Équipe Samandari

mercredi 20 juin 2012

Indépendance: Le recueil du cinquantenaire de Samandari

Dans un pays avec une histoire aussi complexe et douloureuse que la nôtre, il arrive que le verbe se taise, confondu par la violence de son vécu.
La première aspiration du café littéraire Samandari étant de contribuer à libérer ce verbe, nous vous présentons Indépendance : un receuil inspiré du cinquantenaire de l'indépendance du Burundi.

A l’approche du cinquantenaire de l’indépendance, nous avons réuni quatorze auteurs, certains établis, d’autres en herbe, ethnies, expériences, milieux sociaux, genres littéraires, religions et âges confondus. Dans les brumes et les silences de Banga, « le mont aux secrets », ils se sont plongés dans les eaux – à la fois claires et troubles - de nos cinquante dernières années.

Cette collection, une première dans la littérature burundaise écrite, est le fruit de leurs voyages individuels, réalisés du 2 au 4 septembre 2011.
Beaucoup de questions, de déceptions, d’espoir, de sagesse et de créativité. Mais on lira surtout, au fil de ces poèmes, slams, nouvelles et pièce de théâtre, un amour urgent et fiévreux pour leur patrie : le Burundi.

Nous présentons cet ouvrage ce samedi 23 Juin au Musée Vivant à 18h30.

Puisse cet ouvrage marquer le début d’un nouvel et meilleur cinquantenaire.

jeudi 3 mai 2012

Quand on parle de "traduction" au Samandari


Belle soirée de débat au siège du Centre burundais de lecture et d'animation culturelle (Cebulac) ce soir du lundi 23 avril, entre universitaires et acteurs culturels burundais, dont des membres du café-littéraire ou du bureau de l'Unesco au Burundi. Thème en discussion : la traduction. Comment peut-elle favoriser une meilleure connaissance du monde par les Burundais, agrandir leur ouverture sur le monde, surtout les jeunes ? Concilie Bigirimana, professeur à l'Université du Burundi, chef du Département de langue française commence par brosser le tableau dans son institution : « Il n'y a pas de cours de traduction alors que traduire du kirundi en français est l'activité essentielle de nos étudiants, surtout lorsqu'il s'agit de rédiger des mémoires pour l'obtention d'une licence. » 

Des mémorands qui sont obligés de se rabattre sur la débrouille, comme le complète le professeur Domitien Nizigiyimana, du département Kirundi, qui voit l'effort de traduction au delà des seules filières 'langues' : « Imaginez dix étudiants qui partent sur terrain pour une enquête en médecine. Les symptômes, le milieu de vie, les conditions de vie de la population, tout cela est recueilli en kirundi. Reprendre tout cela en français n'est pas chose aisée, alors qu'il n'existe pas de lexique unique dans la langue de contact », complète-t-il. Une expérience à étendre aux facultés d'agriculture, de zoologie, de géologie, d'histoire, etc., ou encore aux ... journalistes !

Pourtant, pour Ketty Nivyabandi, poète et co-initiatrice du café-littéraire Samandari, « il faut d'emblée distinguer la traduction des œuvres littéraires encrées dans la fiction et celles plus académiques (recherches, documents officiels comme les lois, etc). » Les deux champs de traduction ont chacun sa spécificité, note-t-elle. Avant de appesantir sur la première : « En ce qui concerne les œuvres fictives, notamment le roman, la poésie, ou le conte, avec notre système actuel d'édition, on assume être un véritable écrivain quand on écrit en français. Dans un pays où l'on parle majoritairement le kirundi, la nécessité de la traduction vers notre langue maternelle pose à nous autres auteurs littéraires une grave question : pour qui écrivons-nous? »

Dans le même registre, Kwizera Emile, spécialiste de la déclamation de la poésie pastorale burundaise et en même temps cadre au ministère en charge de la Culture a rappelé « qu'encore faut-il que l'écrivain burundais qui souhaite écrire en kirundi, ou traduire une œuvre du français, de l'anglais ou du swahili vers sa langue maternelle maîtrise celle-ci ». Un cas rare, par les temps qui courent, selon tous les participants à la rencontre. D'ailleurs, Martin Ntirandekura, une quarantaine d'années dans le système éducatif burundais et coordonnateur de la publication d'une anthologie des auteurs de la régions des Grands-Lacs s'est interrogé : « Est-ce que les jeunes burundais parlent kirundi, ou parlent-ils en kirundi? » Rires dans l'assistance...

Face à toutes ces questions, deux recommandations : la première, régulièrement citée, est la re-mise sur pied de l'Académie Rundi (qui existe pourtant sur papier depuis... 1962 !). Avec elle, c'est la question du lexique uniformisé et à jour du kirundi qui est réglée, ainsi que la mise en place d'instruments qui permettent la rencontre entre la langue nationale du Burundi et les autres langues utilisées dans le pays (rédaction de dictionnaires, traductions d'oeuvres en français, anglais, etc.) « Cette académie faciliterait énormément le travail de traduction puisqu'elle permettrait de créer aussi des formations qualitatives reconnues en la matière », pointe Joséphine Ntahobari, du bureau burundais de l'Unesco.
La seconde recommandation, longuement défendue par le professeur Domitien Nizigiyimana, a été de commencer déjà à recueillir et traduire, dans la mesure du possible, les oeuvres en kirundi disponibles comme les contes.

Le mot de fin reviendra à Irina Bokova, ladirectrice de l'Unesco, dans son discours dédié à cette journée du 23 avril 2012 : « Notre rapport au livre détermine, pour une large part, notre rapport à la culture », lira Adams Sinarinzi, nouvelliste et membre du Samandari. On a envie de compléter par un autre extrait: « Volumen ou codex, manuscrit, imprimé, tablette numérique, le livre a changé cent fois de visages. Sur tous les supports, le livre matérialise les idées et les valeurs que les hommes et les femmes jugent dignes de transmettre. C’est un outil précieux de partage des savoirs, de compréhension mutuelle, d’ouverture aux autres et au monde. »

Par Roland Rugero

mardi 10 avril 2012

"Un homme s’est pendu qui fuyait le souvenir de minuit "

Un homme s’est pendu qui fuyait le souvenir de minuit
Le matin, le village a vu son corps, en balançoire,
Décrire des cercles fermés sur une histoire close
De sa femme déshonorée, et de sa fille salie
La nature souillée ainsi que les fleurs et les roses
La nuit, mi-mort, mi-vivant, il regardait se passer l’horreur
Et le matin décida-t-t-il d’interrompre son printemps

Femme printemps, femme vent, femme diamant
Femme des champs, légère, tu t’envoles
Tu t’en vas en éventail, tu fuis l’histoire
Seul, pour pleurer son chagrin
Ton homme se laisse mourir, jeune, vieux
Il laisse mourir son bonheur en embruns sur rocher
Bonheur cristallins brisés en mille morceaux

Cet homme, dans sa douleur, en testament, il a pleuré
Sa foi blessée, ses amours bousculées, meurtries
Et d’un geste libérateur, il a éteint le temps et le vent
Histoire de ne pas laisser la justice bâcler son cas
Et le ciel, jamais, de cette horreur, ne se remettra
Ni le jasmin au mois de mai, ne fleurira
Les deux femmes sont parties innocentes

Femme printemps, femme vent, femme diamant
Femme des champs, légère, tu t’envoles
Tu t’en vas en éventail, tu fuis l’histoire
Seul, pour pleurer son chagrin
Ton homme se laisse mourir, jeune, vieux
Il laisse mourir son bonheur en embruns sur rocher
Bonheur cristallins brisés en mille morceaux

Un homme, sur un arbre, a laissé s’envoler l’espoir
Et une histoire de quarante ans de labeur et de vie honnête
Un homme s’est donné la mort pour éviter de mourir
Deux, trois, cent fois et d’autres morts dégradantes
Et seul le ciel lui a ouvert les bras, sans hésiter
Sur un lit de plumes, son corps, léger, se repose
Auprès de sa femme et ses filles, dorénavant immortelles

Femme printemps, femme vent, femme diamant
Femme des champs, légère, tu t’envoles
Tu t’en vas en éventail, tu fuis l’histoire
Seul, pour pleurer son chagrin
Ton homme se laisse mourir, jeune, vieux
Il laisse mourir son bonheur en embruns sur rocher
Bonheur cristallins brisés en mille morceaux

Un homme, mon voisin, un matin, s’est tu
Pour laisser entendre la voix de l’agonie
Furtif, son bonheur, s’est évanoui en éclair
Des collines, d’échos en échos, en ré mineur
Le chant de deuil s’entonne hésitant
Pour laisser le violeur mourir dans l’effroi
Quand les âmes des absents reposent en paix.

Par Thierry Manirambona
[Ce poème a été publié sous le titre original de "Furtif"]

mercredi 25 janvier 2012

C’était comme ça

de Niyonizigiye Célestin

Chez lui tout semblait s’arrêter spontanément ;
Chez lui tout s’endommageait instantanément ;
Chez lui tout se réparait simultanément ;
Bref, chez lui tout se passait fabuleusement.

Quand il n’avait pas encore posé son pied
Sur la terre, Nice pressait sa mère, il criait,
Il boudait et trépignait avec insistance
Pour naître car il brûlait toujours d’impatience.

A sa naissance, sans saluer son entourage,
Nice courut à la maison plein de courage
Car il avait envie de voir ses petits frères.
Il les vit et demanda s’ils savaient son père.

Zélé qu’il était, Nice a sauté son enfance,
Abrégea la puberté et l’adolescence
Pour atteindre l’âge adulte, si l’on en croit !
On avait rien à reprocher; c’était son droit !

Singulier qu’il était, il croûtait* tout cru,
Pas de temps de cuisson, moi même j’ai pas cru
Comment ce Nice oubliait souvent de digérer
Après avoir mangé. Chose dure à gérer !

Ce n’était pas pour cet être phénoménal
Gauche de sortir avant d’entrer dans la salle
D’examen où il lui arrivait de conclure
Ses dissertations avant de les introduire.

Hélas, notre curieux gamin a renoncé
Au sport la veille du jour où il fut rossé
Pour avoir troué la balle au coup des intestins,
Il s’enfoutait car ce n’était pas son destin.

A la place, il préféra faire la musique
Où il avait un don spécial de jouer l’unique
Instrument : le sifflet. On lui en avait fait
Cent dix neuf en eau, il en était satisfait.

Aussitôt au soir de sa vie, il se souvint
De tout ce qu’il estimait auparavant vain;
Il s’acheta un biberon à la boutique
Car il n’avait pas tété. Drôle de critique !
Il se fit la barbe, décor qu’il ignorait,
Il aima, devoir qu’il n’avait pas honoré.

Petit à petit son énergie s’épuisait ;
Mais l’envie infernale de viande croissait
Au point qu’il a broyé et avalé sa langue ;
Dès lors, car pénible, la vie paraissait longue ;

A sa mort, voyant que ceux qui l’accompagnaient
A la tombe négligeaient son temps à gagner,
Il prit sa croix, creusa si vite et s’enterra
Aux vivants, il écrivit : « Hier, on se verra. »