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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

mardi 23 novembre 2010

Nègre, Rwagasore, Slam

Roland Rugero

Ce jeudi 12 novembre, le Samandari s’ouvrait sur un poème de l'ivoirien Bernard Dadié, Tué le chef. La présentation faite par le slameur Ezéchiel voulait aussi rappeler le travail des 'autres', à coté des monuments Senghor, Césaire ou Achebe. Tous ont à leur manière évoqué le nègre. Un nom à nuancer, rappelle Charles Baranyanka, « qu'il faut saisir dans son évolution historique. Il y a d'abord eu le nègre bâtisseur d'empires tel celui du Congo ou du Ghana, ingénieux et inventeur. Puis le nègre animal, perçu par le colon et le missionnaire comme une espèce humaine à civiliser. Et enfin le nègre de la négritude, troisième et dernière étape qui sera une invention des penseurs africains en quête de leur identité.»

Dans le sillage de ces derniers, émergent les grands politiques des Indépendances. Dont Rwagasore, un Homme, Umugabo dans toute son acception en kirundi. Pour parler de lui et comprendre sa vision, il faut entre autre se plonger dans son discours prononcé le 25 Août 1960 devant la chambre de commerce du Rwanda-Urundi. Davy Rubangisha y décèle « un libéral qui comprend très tôt l'importance du secteur privée », ce qui, selon Jean-Marie Ngendahayo est assez différent d'un Lumumba, «moins ouvert à l'Occident.»

Et alors qu'Adams Sinarinzi nous peint poétiquement le Prince dans Le Fils du roi, nos slameurs du collectif Phoenix condensaient tout ceci dans une belle scène jouée sur un... bar! Cris de révolte contre les souffrances de l'Afrique, contre des prêtres qui vendent Dieu contre menus désirs de chair, contre ces mecs qui vous draguent en mentant avec l'Hymne « Tu es la seule, tu es l'unique » manifestement bien connu dans cette salle du CCF,... l'évantail de la colère semble large dans notre Afrique. Jusqu'à quand?

dimanche 14 novembre 2010

Le fils du roi

Par Sinarinzi Adam’s

Visionnaire, dit-on de lui
Fils du roi, il traçait le chemin
Vers les Lumières devait mener ce chemin
Lumières de vie, Lumières de liberté. L’indépendance était la voie.

Fils du Mwami, il avait osé,
Osé être Homme
Osé devenir Homme.

Comme disait un Père, il est difficile de devenir Homme
‘Toujours tendu vers le Bien, faisant le Bien
Tel est être Homme’, disait le Père
Mais tout deux moururent dans cet exercice.

Père de la nation, le fils du roi n’est plus
La cloche du deuil a sonnée sur les milles et une colline
Sur ces collines les lumières ne sont plus, le soleil a fuit, le rêve kidnappé.

Depuis, parler de lui semble parler d’un mythe
Avec peine et nostalgie on se rappelle de cet homme
Et oui, certes fils du roi mais c’était un homme
Fait d’envie, de peur et d’ambition, il était homme.

Des hommes il y en a eu et il y en aura toujours
Le rêve a toujours été et est toujours
Mais depuis ce 13 Octobre, le rêve ne se fait plus entendre
Brulant dans le cœur des hommes il n’ose plus se montrer.

Héritage de ce prince fils du roi, son rêve vit en nous
En chacun il grandit, en chacun il murit
En chacun il implore et parfois fait agir.

Alors certes visionnaire il l’était
Fils du roi, il l’était
Homme, il l’était encore plus
Et Homme nous le sommes tous.

Riche de son héritage
Faisons place à son cri qui est en nous
Faisons place à nos rêves devenus timides
Car seul par nos actes nous seront jugés.

mardi 9 novembre 2010

SAINT BOB MARLEY

par Daniel Kabuto

“L’enfer est pavé de bonnes intentions
Le ciel n’est pas à l’abri de ses inventions.”
Essayons à notre tour de démontrer dans l’humour
Une assertion par nature qui peinerait mon Seigneur!

L’histoire est ici fictive, je tiens d’emblée à avertir,
Presque au dos d’un auteur dont l’œuvre fait école:
Pour les rasta men qui l’adorent en prophète,
Et pour nous mélomanes, toujours à divertir;
Pardonnez mon audace et tolérez la boutade!

A la saint Robert, l’enfer dresse aussi l’oreiller,
Et le patronyme en fête verse sa céleste coupe,
Vers son damné de filleul et fumeur sous la coupe,
Et voilà l’âme du vin qui permet au talent de se réveiller!

Marley vous saisit sa gamelle et dispose du cendrier,
Sur ces outils en fer, il frappe ses deux baguettes,
En enfer comme en Italie, on s’habitue aux pâtes,
Et voilà que la mélodie plaît et chauffe le maudit terrier!

Tosh et Boney M sautent et réagissent en chœur,
D’autres voix s’élèvent, l’enfer les porte au pinacle,
Les damnés se dégourdissent et changent d’humeur,
Et Marley de lancer: “Could you be loved’ palace?”

L’ambiance fait rage et le paradis s’inquiète,
Intercède et descend voir la fête,
Irrésistible est l’euphorie, même pour cette Venus;
Et la délégation céleste d’adhérer sans plus !

“Il convient que ces artistes reçoivent l’éternel trophée” !
Ainsi s’adresse Notre Dame à cette maudite assemblée.
Et de ses grâces divines, elle offre aux élus des cierges,
Pour réapparaître sages devant le véritable saint Siège.

A la vitesse divine, ils atteignent la petite porte,
Saint Pierre tient la clé et accrédite chaque tête,
Hélas Marley n’est pas rasé mais travaille sa façon,
Pour présenter les fesses à l’huissier du fatal pont!

Suspens…

Les prenant pour deux têtes, petites et mal rasées,
Le vieillard de portier adjuge sans moindre regard,
Et l’acrobate Marley gagne l’Eden et ses alléchantes entrées,
Un sacré Rasta man dont les tresses font Dieu hagard!

samedi 6 novembre 2010

Au commencement était le verbe


un slam de Tanguy Bitariho
Au commencement était le verbe.
Le verbe s’étendit au vers, le vers devint phrase.
La phrase donna jour au texte et le texte enflamma, de ce fait, le cœur du poète.
Depuis ce jour, à travers sa verve, le poète copule avec le texte redonnant ainsi naissance au verbe.
Et de cette union naquit la magie des mots, la frénésie de l’écrit, la sensation d’être pris d’un prurit d’expression.
N’est-ce pas étrange d’être pris dans cette frénésie de l’écrit, retranché dans les tranchés de la locution, réinventant ainsi la locomotion à travers les mots ?
Prisonnier volontaire de cette envie de gratter le papier ;
Egratigné par la vie, refusant de se taire ;
Pansant nos plaies à l’encre de nos plumes ;
Parce que pensant ainsi guérir cette infortune.
Il n’est en rien question de quérir de la thune ;
Mais plutôt d’occire cette triste amertume.
Alors on cherche, on crée, on se récrée à l’écrit.
On se récrie, on écrit, on s’écrit, on décrit ;
Et pour cela on crie et on recrée, sur papier, ce qu’on avait, bon gré mal gré, refoulé, dans nos esprits.
On a supporté tout ça sans broncher, on l’a ressassé sans cesse dans nos pensées, recensé mille fois nos regrets ;
Mais maintenant s’en est assez !
Marre de tasser tout ça dans le passé ;
Comme si cela n’aurait jamais existé.
On en a pourtant tant bavé, on a aimé, pleuré, ri, haï ;
Et tout ce qu’on a décrit, maintenant, on l’écrit.
Alors on n’a peut-être pas tout vécu.
Nos écrits ne sont pas forcément tous du vécu.
On n’a certes pas tout vu, ni entendu ;
Mais tout ce que l’on dit en est il forcément faux ?
Force est de constater que non ;
Car lorsque l’expérience fait défaut, l’imagination n’a-t-elle pas ce qu’il faut ?
Mais peut-être exagère-je ? Peut-être ne sommes-nous pas tant à plaindre ?
Certes on gamberge, mais même si notre peine est loin d’être feinte ;
On aime cette vie, car elle est pleine de moments comme celui-ci ;
Où l’on partage ces émotions, nous rassurants qu’en fait, nous existons.
Car c’est grâce à vous qu’on existe ;
C’est grâce au public, que vie l’artiste.
Pour lui, on réfléchit, on gratte sans cesse, aggravant ainsi notre addiction.
Devenue maintenant tradition, même face au sommeil, on ne courbe pas l’échine, on reste en éveil, s’évertuant à graver, à l’encre de Chine, à la machine ou au phone-tel, nos rêves et aspirations.
Et c’est une fois pris par l’inspiration, que l’on découvre cette effervescente émulation, proche de l’explosion, ou le sang entrant en ébullition, nous fait perdre la raison, confondant ainsi réalité et fiction.
C’est durant l’un de ces moments, d’illusions verbales, où l’oral devient visuel, que les lettres me devinrent réelles.
Elles m’apparurent si belles, dorées tel le miel, irréelle parure d’or.
Sur mon corps, elles se couchèrent ;
Et là, drapé de cette belle fourrure littéraire ;
Les lettres me prièrent d’écouter et de me taire, puis me jurèrent que leur histoire allait me plaire.
Alors lentement elles me susurrèrent :
« Au commencement était le verbe.
Le verbe s’étendit au vers, le vers devint phrase.
La phrase donna jour au texte et le texte enflamma, de ce fait, le cœur du poète.
Depuis ce jour, à travers sa verve, le poète copule avec le texte redonnant ainsi naissance au verbe.
Et de cette union naquit la magie des mots, la frénésie de l’écrit, la sensation d’être pris d’un prurit d’expression.
Maintenant que tu as compris le concept de cette notion, va garçon ;
Va vers tes congénères, va voir tes sœurs et frères.
Partage leur ce que tu as sur le cœur et découvre ainsi le bonheur ».
Merci.

jeudi 4 novembre 2010

Le miroir

par Roland Rugero. Un texte revisité au Samandari de ce soir 4 novembre
0.
16 ans. L'âge des voyages douloureux a commencé. Quand il se lève le matin, et qu'il glisse son regard sur un miroir, il est surpris. Par ces boutons, par son visage qui s'épaissit, par ses lèvres qui prennent de l'ampleur, par sa voix quand il éternue, immobile dans la froide petite chambre de deux mètres sur trois qui abrite la douche, par le fait même qu'il se présente devant ce miroir... Il avance sa main, touche sa poitrine qui commence à se couvrir d'un poil plus sombre que ses avant-bras et ses tibias, descend, saisi tel un bout de ballon son nombril bombé, une magnifique petite colline jetée juste après son ventre avec des tablettes (il vaut veiller à cela!) et le reste, vaste savane dont les buissons ont lancé les racines plus en amont que le roseau...
Il lève les bras, hume ses aisselles, fronce le sourcil parce que cela sent la sueur (il fait chaud à Gitega, ces jours-ci), cligne d'yeux, pointe le doigt dans le miroir qui orne le côté gauche de ce réduit, trace le mot 'fuck' (c'est aussi un révolté, Pierre), cherche vainement de l'eau du robinet pour effacer les mots dessinés, baille de rage et de sommeil, tandis que sa tête reste prostrée : Pierre fixe son Roseau.

1.
Pierre. Tout à l'heure, il n'osera pas aller chercher de l'eau, parce que c'est loin, et qu'il n'a pas envie de faire ce trajet, et d'ailleurs ce trajet est fatiguant, d'autant plus qu'un bidon d'eau de vingt litres, c'est ééééénormmmmmme, puuu !!!! Autant de fausses raisons qu'il se donne, vainement, lâchement. Pierre est devenu un lâche. Il sent qu'il a perdu le courage de se battre, il sent que ses yeux n'ont plus la volonté de rester allumés une grande partie de la nuit, à attendre le chuintement de l'égout. Pierre a mal, d'être ce qu'il est, d'avoir ce qu'il a. Il en a marre ! Il baille, longuement, en tout cas assez pour voir sa glotte, là au fond du miroir; des larmes viennent aux yeux, il s'essuie, puis les larmes semblent encouragées, il pleure maintenant, des stries se dessinent sur ses joues, il ne les arrête pas, lâchement il incline la tête et ses yeux rencontrent son Roseau.

2.
Entre les larmes, des images défilent... Sa bouche grande ouverte, encore un petit garçon, les fesses en feu après avoir reçu une terrible raclée de sa mère ; ses bras misérablement croisés sur sa tête après que son père lui ait annoncé qu'il n'ira pas à Mushasha acheter des visconzi avec son grand-frère ; agenouillé les mains en l'air sur ordre maternel, la bouche tremblante de révolte, alors que sa sœur passe dans la petite porte latérale de la clôture de leur maison pour aller jouer avec les enfants des voisins ; et l'école, oh ! l'école !, la douloureuse classe, les camarades qui se pincent le nez dès qu'il apparaît ; un malaise constant quand la maîtresse se balade, narines en alerte, entre les travées de sa classe à la recherche d'élèves puant, oui !, puant, dit-elle ; et la canne qui s'abaisse sur sa nuque ; les regards moqueurs des autres ; la triste déchéance quand on se voit mis à l'écart, à deux rangées devant, non parce que l'on est un modèle, mais parce qu'il faut vous isoler, vous contenir, souligner votre saleté, votre puanteur, combien vous êtes dangereux pour le reste de la classe; Pierre traité comme un virus, Pierre le virus.

3.
Puis il y a la nuit. A partir de huit ans, à force d'être battu, hué, grondé ou enfermé dans la chambre, à force d'être assigné à rester à la maison, d'aller chercher de l'eau à la fontaine publique (alors qu'on peut très bien puiser l'eau juste dans la cour de leur domicile) et sous les ricanements des autres garçons, ; à force de subir les brûlures du fouet chaque matin durant les vacances (parce que sa mère n'avait pas de temps quand il y avait l'école, le malheureux risquant par ailleurs de subir le même sort pour son retard...) ; Pierre était devenu un veilleur de nuit. Combien de hiboux surpris à célébrer la nuit, juchés sur le bord de la toiture de la maison des voisins, de l'autre côté du muret blanc ? Combien de fois a-t-il surpris des bruits sourds de l'autre côté du mur, chambre parentale où des râles succèdent parfois à une casserole qui tombe par terre, ou une porte qui claque, des voix qui passent des heures dans une conversation indescriptible... Combien de fois s'est-il présenté à l'école le visage hagard, non de n'avoir pas dormi, mais d'avoir osé dormir !

4.
Car le sommeil est traitre : vers une heure du matin, alors que le jeune garçon avait tout tenté (ses oncles lui avaient même rapporté, des homes universitaires de Bujumbura, qu'il n'y a pas meilleur moyen de rester les yeux éveillés que de plonger ses pieds dans un seau, d'où la présence de ce bol à savon de lessive en poudre Omo, soigneusement rempli d'eau et glissé sous son lit en fer- du fer qui se rouille en passant...), préférant garder son seul slip pour que le froid de la nuit lui morde les mollets, tentant de se concentrer sur le scintillement des étoiles là-haut dans le ciel, parfois l'oreille rivée sur la radio en écoutant la RFI dont il ne comprend mot (sauf "Bonjourr, chers oditeux, il est minuit heure française" le reste est dit trop rapidement), accroché au chuintement des mots qui percent à travers le mince filet noir qui enveloppe l'enceintes de l'appareil ; vers une heure du matin donc, le guerrier perdait toujours la bataille. Pierre s'endormait. Et le roseau retrouvait l'eau, l'eau qui montait du corps, montait, empruntait le roseau ,vers le lit... Vers 6h du matin, Pierre se réveillait dans l'écœurante odeur de son urine, les draps mouillés, quelques gouttes par terre, ayant percé le maigre matelas qui lui était réservé depuis de longues années... Pierre pleurait, comme maintenant.

5.
Il savait qu'il devrait laver ses habits et les draps avant d'aller à l'école, avec la bénédiction d'une gifle attrapée au passage de sa mère (son père ne voulant pas trop se mêler de ces histoires de pisse, avait-t-il avoué une fois alors que son épouse implorait son intervention pour régler une fois pour toute cette histoire de vessie rebelle), et à l'occasion un énième pincement de cœur en voyant comment son petit-frère gambadait le matin, impatient d'aller à l'école, et sa grande sœur droite dans son uniforme kaki; puis parfois le regard triste de son père quand il surgissait de la porte donnant sur la cour arrière de sa maison, trouvant son troisième enfant plongé dans des seaux savonneux, de maigres bras tremblant de froid et de honte s'affairant à réparer le énième affront fait à la nuit... Le silence de son père lui faisait mal, très mal, alors que la colère de sa mère avait peu à peu laissé place à sa seule souffrance physique. Quand sa mère criait, il pleurait qu'elle ne tienne pas en compte ses efforts. Quand son père le regardait, il pleurait de se savoir tenu en pitié. Et il mourrait de rage de lui prouver qu'il était homme!

6.

7.
Puis, par une semaine de l'an 1992, alors qu'il avait treize ans, pendant les sept jours que le Dieu d'Abraham et d'Isaac a créé, Pierre dormit et se réveilla sec et sauf! Oh! Miracle! Grâce! Victoire! Le septième jour, qui était un Dimanche, sa mère l'emmena au restaurant nommé Cercle manger un quart de poulet. Avant de manger, Pierre pria...

8.
Et cela fait la cinquième fois depuis le début de ce mois d'octobre que Pierre mouille ses draps. A 16 ans. Il essuie ses larmes. Puis se regarde une nouvelle fois dans le miroir. Que se passe-t-il? Des larmes reviennent.