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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

mardi 31 août 2010

Le Samandari accueille l'écrivaine Lieve Joris

Les Hauts Plateaux, de Lieve Joris (éd. Babel, 2008)

De Minembwe à Uvira, lieux difficiles à situer sur une carte de l'Afrique, Lieve Joris a traversé le Congo perdu de l'Est, non loin du Burundi et du Rwanda. Une marche au pays des collines vertes, là où cohabitent éleveurs et cultivateurs.

Comme pour mettre un point final, après des années, à son œuvre de recherche affective, d'approche des contradictions, de suivi des conflits, d'empathie pour les habitants un pays qu'elle a connu Congo, puis Zaïre, puis à nouveau Congo, Lieve Joris est allée à pied, cinq semaines durant, de village en village, dans cette région méconnue, résistante, restée à l'écart de la colonisation belge, où se côtoient des ethnies et des tendances politiques pas toujours en bonne entente.
Une marcheuse blanche, souvent la première jamais venue dans les parages,accompagnée d'un guide et de porteurs, picaresques à leur manière, dépositaires d'une valise, objet que Lieve considère comme son seul luxe, vu les conditions rudimentaires de vie des paysans, la pluie, la boue, les puces, les rats, la nourriture difficile, mais aussi les brigands possibles, les miliciens plus ou moins autonomes, les autorités pas toujours ravies de sa présence.
Des hautes collines aux abords du Lac Tanganyika, Lieve Joris nous propose une variante moderne des immersions des explorateurs, un résumé du Congo, sur un petit bout de carte fondamental en ce qui concerne la géopolitique de l'Est africain.Les Hauts Plateaux, de Lieve Joris (éd. Babel, 2008)

De Minembwe à Uvira, lieux difficiles à situer sur une carte de l'Afrique, Lieve Joris a traversé le Congo perdu de l'Est, non loin du Burundi et du Rwanda. Une marche au pays des collines vertes, là où cohabitent éleveurs et cultivateurs.

Comme pour mettre un point final, après des années, à son œuvre de recherche affective, d'approche des contradictions, de suivi des conflits, d'empathie pour les habitants un pays qu'elle a connu Congo, puis Zaïre, puis à nouveau Congo, Lieve Joris est allée à pied, cinq semaines durant, de village en village, dans cette région méconnue, résistante, restée à l'écart de la colonisation belge, où se côtoient des ethnies et des tendances politiques pas toujours en bonne entente.

Une marcheuse blanche, souvent la première jamais venue dans les parages,accompagnée d'un guide et de porteurs, picaresques à leur manière, dépositaires d'une valise, objet que Lieve considère comme son seul luxe, vu les conditions rudimentaires de vie des paysans, la pluie, la boue, les puces, les rats, la nourriture difficile, mais aussi les brigands possibles, les miliciens plus ou moins autonomes, les autorités pas toujours ravies de sa présence.
Des hautes collines aux abords du Lac Tanganyika, Lieve Joris nous propose une variante moderne des immersions des explorateurs, un résumé du Congo, sur un petit bout de carte fondamental en ce qui concerne la géopolitique de l'Est africain.
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L'Heure des rebelles, de Lieve Joris (éd. Babel, 2007)

Kinshasa 2003. Depuis l'assassinat de son père, Joseph Kabila est la tête du pays. Au Congo, la guerre civile s'achève et un gouvernement de transition s'installe, qui suppose partage de pouvoir avec les ex-rebelles et réunification officielle de l'armée.
Assani, officier supérieur, témoin actif de tous les conflits des années précédentes, s'installe dans la capitale avec ses gardes. Originaire de l'Est, il est de ceux qui furent rebelles, puis fidèles, menacés du fait de leur origine, traqués ou tout-puissants au gré des événements, des données politiques, des intrigues.
S'appuyant sur des situations et des lieux réels, Lieve Joris dresse le portrait de cet énigmatique personnage. Homme du combat comme du renseignement, de la violence comme de l'amitié, bousculé par un destin qui le plonge dans une solitude permanente et inquiète, Assani est à la foi pion, roi et fou sur un échiquier d'étendue internationale. Un pan fondamental de l'histoire du Congo et de l'Afrique est ainsi abordée à échelle humaine.
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Danse du léopard, de Lieve Joris (éd. Babel, 2001)

Au moment où Lieve Joris arrive au Congo (1997), les enfants-soldats de Laurent-Désiré Kabila prennent le contrôle de Lubumbashi. Le « lion » a vaincu le « léopard » Mobutu. Seize mois plus tard, Lieve Joris est encore sur place lorsque les « rebelles » tentent de renverser le nouveau régime. Tout ce qui s'est passé entre-temps est consigné au long de ces pages saisissantes. Dans les vestiges du palais équatorial de l'ancien dictateur Mobutu, sur un bateau fluvial parti récupérer une cohorte de réfugiés hutu, au procès des rivaux de Kabila, ou encore dans un véhicule de l'armée qui la reconduit fermement vers Kinshasa, jamais Lieve Joris ne cesse de donner la parole aux Africains qu'elle rencontre. Alors, peu à peu, prend forme inimaginable réalité d'un pays désemparé et chaotique, sur lequel elle pose un regard plein de respect, d'amitié et d'intransigeance.
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Mon oncle du Congo, de Lieve Joris (éd. Babel 1987)

A la recherche de son passé familial, Lieve Joris, dans les années 1980, s'embarque pour le Zaïre (ex-Congo belge). Elle y retrouve les traces de son oncle, missionnaire dont les cartes postales et les récits avaient coloré son enfance. Et elle se voit aussitôt confrontée aux paradoxes de la décolonisation et à la réputation que les Européens font au continent noir.
Un ton personnel anime ce récit où affleure constamment la vulnérabilité d'une jeune voyageuse qui peu à peu prend confiance. Mais ce regard de femme sur l'Afrique vaut aussi par tout ce qu'il reconstitue d'un passé révolu- ce vieux rêve d'évangélisme missionnaire dont elle ressaisit les illusions en même temps qu'elle en découvre les derniers vestiges.

Chronique du vendredi: Petite et grande littérature (Roland Rugero)

par Roland Rugero

En 1969, en marge des activités du premier festival panafricain à Alger, un écrivain africain lance: «La littérature africaine ne peut exister en dehors du combat révolutionnaire.» Il ne croyait pas si bien dire, à l'heure où les défis de l'Afrique sont aussi importants, 50 ans après l'accès aux Indépendances: chômage, pauvreté, culture et respect des espaces de vie (terres, médias, musées, mémoires), santé et sécurité pour tous, etc.
Après deux mois d'activités, le Samandari résonne d'intonations aux couleurs révoltées, pour ne pas dire révolutionnaires. Peut-être est-ce la preuve par 'essence' que ces textes sont africains... Des Petits Hommes à La complainte de la femme de Bujumbura Rural, en passant par le Tam-Tam : un vrai cri africain, le roulement des écrits est fait des mêmes interrogations: pourquoi la misère sur un sol si riche ? Pourquoi la mort dans des communautés si vivantes?

Dans son article Le littéraire et le guerrier, Alexie Tcheuyap rappelle que « la littérature africaine est née de la confrontation coloniale avec son cortège de violence et de racisme.» Depuis, la colonisation a pris d'autres formes, dont la description prendrait le temps d'un épais essai. Parmi elles, il y a le non-respect de l'Africain, autant par l'Africain que le non-Africain.
Diomède Mujojoma, maladroitement, comme le soulignait les acteurs du Samandari de ce 19 août, a souligné le premier cas dans son roman Salvator, sur le sentier vers le village des frères. Dans lequel il évoque l'absurdité de l'ethnisme au Burundi.
Entre le non-Africain et l'Africain, dans ce cas-ci le Burundais, il existe aussi, parfois, des formes de non-respect. Comme que de penser que la littérature, la vraie, est exclusivement occidentale...
Ainsi donc, il y aurait une petite révolution dans cette étroite salle du Cebulac, où l'on tente de prouver que «ces Burundais qui ne lisent pas» écrivent tout de même!

Chronique du vendredi: Contes et poésie (Roland Rugero)

par Roland Rugero

On se souvient que l'évènement du Samandari avait débuté par un conte du même personnage; ce fou du roi sage dans son insolence. Six rendez-vous après, l'envie était forte d'y revenir, juste pour savoir si la pratique du conte était toujours d'actualité dans les familles burundaises. Les uns ont reconnu, que non!, à part les livrets de classe du primaire ou de loisirs, plus de contes depuis l'enfance. Les autres ont évoqué, dans une brume de souvenirs digne des frères Grimm, «des soirées avec des tantes, sur la colline natale des parents, où on écoutait plein d'histoires.» Professeur de religion et morale à l'École Belge, Luc Germain rappellera la fonction pédagogique des contes, «quelque chose qui ne se lit pas» et qu'il utilise par exemple pour enseigner les valeurs de la démocratie.

Samandari? Certes on le connaît, vaguement parfois, et de nom. Inarunyonga? «Jamais entendu parler!», vous répondra un autre. Les nuits froides passées à trembler à l'idée de croiser ibisizimwe (les monstres), spécialement friands d'enfants fautifs ? «Connaît pas », avouera celle-ci. Bref, il y a matière d'édition... A la librairie Saint Paul, on peut trouver un miséreux recueil intitulé Imigani y'ikirundi- Contes en kirundi. Sans auteur, ni année d'édition, ni origines des sources ! Juste des contes et la table des matières... Troublant.
Comment ne pas seulement « lire » les contes, mais les vivre, c'est à dire les raconter? La question pourrait s'étendre à la très riche poésie pastorale burundaise... Comment l'exporter ? L'extraire du kirundi vers d'autres cultures (et ici se pose des soucis de traduction...)? D'ailleurs, est-ce nécessaire, de traduire, puisque cela est aussi trahir?
Une myriade de question que l'on ne saurait répondre pour l'heure. Préférons nous plonger dans Le baobab est trop mûr pour qu’un fruit tombe, poème d'Éric Shima qui publie un recueil poétique à l'Harmattan intitulé La Voix des Grands-Lacs.
Fais-moi ton ombre/ Cède-moi tes poils/ Je veux mesurer ton espoir, y lit-on. Poils de monstre?

dimanche 29 août 2010

Tam-Tam: un vrai cri africain, slam de Ezechiel

par Ézéchiel
C’est incroyable !
Le tambour sacré en armes ?
C’est vraiment une abomination.
Non, mon ami,
Abomination, c’est une exagération.
Ceci ça s’appelle « révolution »

Dans notre Afrique,
Oui, notre Afrique à nous,
Nous en avons marre avec les coups de fusils,
Nous voulons du TAM-TAM.
TAM-TAM guérisseur des âmes droguées
Transporteur des flammes mystérieuses
Pour enflammer les cœurs de toutes ces mamans
Oui, ces mamans africaines
Autre fois « héroïnes »
Mais qui, par manque d’espoir, se sont laissées persuader
Qu’enfanter pour l’Afrique n’est plus une affaire des mamans africaines
Qu’allaiter pour la future génération africaine,
C’est prendre soin inconsciemment du reste du monde.

Oui ! La fuite des cerveaux, c’est une réalité, non ?
Mais malgré cela, laissez-moi vous dire
Que la fraternité en Afrique est encore possible !
Oui, elle est encore possible !
Je vous jure que rien ne nous empêchera
De danser ensemble,
Ensemble main dans la main
Au rythme du TAM-TAM.
Quant aux armes, nous allons les transformer
En instrument de musique
Et en Afrique,
On n’entendra plus de coups de fusils
Mais du TAM-TAM.

Africains, donnons du TAM-TAM
A nos âmes
Et que nos armes soient transformées
En TAM-TAM d’alarme
Pour avertir nos frères africains qui,
Rongés par ignorance,
Vivent dans la souffrance
Travaillent sans expérience
Et se laissent encore manipuler par les soi-disant « sauveurs »
Ces prétendus bienfaiteurs qui,
Après avoir débloqué quelques liasses de billets
Accompagnés de quelques sacs de maïs grillés
Pillent sans pitié leur pays
Et les laissent dans la galère
Pour revenir après sous une forme d’ONG avec le même slogan
Qu’ils ne cessent pas de fredonner :
« Nous venons vous sauver »
Quelle horreur !!
C’est normal qu’ils reviennent réparer les dommages qu’ils ont causés.
Mes aïeux, eux, savaient cultiver et récolter,
Mais moi, on m’a dit que tout se trouve dans le frigo.

Les prétendus grands cerveaux m’ont déjà convaincu.
Ils m’ont fait comprendre que le sommeil
Est le meilleur repos du système nerveux. C’est ce qui est vrai d’ailleurs!
Et moi, je me suis endormi.
Pendant que je m’endormais,
Eux, même pendant la nuit, ils travaillaient.
Et moi, réveillé,
Je me suis retrouvé en train de consommer leurs produits
Au prix bien sûr de l’argent.
Ici je parle du dollar, de l’euro
Et bientôt du yen…

Chers Africains, réveillons-nous!

dimanche 22 août 2010

Le baobab est trop mûr pour qu’un fruit tombe, de Eric Shima

par Eric Shima
Je veux rester à tes côtés pour égaler ton ombre
Je veux t’arracher les cheveux pour tester la fidélité de ton ombre
Je longe ton ombre pour maîtriser mon chagrin, mon chagrin océan Grands Lacs

La lune est un ami je l’offre à l’âme qui quête l’immunité provisoire
Le soleil est un cheval je monte sur son dos pour brûler mes fesses sans amour

Mes doigts sont des hameçons je pénètre ton océan, Afrique cassée cousue pour mêler ton sang au tien souillé

Afrique, cache où tu veux ta jouissance :
Elle croît sur ma poitrine elle brille dans mes yeux elle fait pousser mes poils …elle languit sur mon pubis désolé dans les caleçons de poète fou de t’embrasser.

Contre tes larmes je cède la moisson d’une bonne saison
Contre tes gourdins j’offre l’immunité définitive

Fais-moi ton ombre
Cède-moi tes poils
Je veux mesurer ton espoir

Il y a des lézards languissant, cadavres sur des murs abandonnés
Il y a du pus tranquille dans le cœur d’un paysan mêlé aux cadavres par mégarde à Bubanza
Il y a des fusils refusant le nom de guitare dans des contrées d’où les rhinocéros font l’écho de nos canons
Il y a des héros dont les pieds s’embrassent timidement dans la boue pour t’aimer, Afrique.

Dis-moi, Afrique. Comment nommes-tu tes saints?
Approche, Afrique je veux t’aimer

Ton nez épaté refuse toutes les odeurs!

Dis-moi, Afrique. As-tu des fous patients pour compter des amnisties qui se font proclamer sous ton ciel fumant?

Bien planté à côté d’une Europe lasse d’aimer tu n’as plus de rhizome

Tu as vendu tes esclaves contre des fusils pour sécuriser tes envies
Tu as vendu ton amour à une Jeanne d’Arc qui cache en le suçant un baobab noir
Dis-moi, veste pour ma toux, connais-tu tes ennemis ?

Sorcier de midi, Océan poignardé, cornes fichues, huile houée, lune violée, moelle bombardée, quelle est ton ethnie ?

Je t’offrre un Tusti élevé dans le Nil insulté
Prend aussi un Hutu que je coupe sur le sein du même Nil d’eau détournée
Cesse de bouder je cède aussi le Twa, lave languissant à côté de la revanche du même Nil agressé.

Voici, enfin, Afrique, pour satisfaire tes envies, ma chair béante les dents fourrant la honte dans ses trous pour mimer ton amnistie.
Je sais une seule caresse dans ta forêt hurle, oh ! Vrombit mieux qu’une brise, mieux qu’une accalmie.

samedi 21 août 2010

Chronique du vendredi: Soulagée. Ou pas. (Roland Rugero)

par Roland Rugero

Des émotions, des couleurs, écriture comme thérapie ou évasion, ils ont longtemps évoqué, nos amis du Samandari, l'origine de leur inspiration. Ainsi Noella nous livrait, sur papier blanc, un court texte qui lui aura arraché des larmes et dix feuilles froissées. Il y est question de l'angoisse vécue en terre d'exil quand elle pensait au Burundi et ses guerres, 17 ans de doutes et de silences qui «explosent quand j'écris ces quelques lignes...» témoigne Noella. Et soulagée, depuis son retour, de découvrir entre autres l'énergie d'une jeunesse qui veut écrire une autre histoire du Burundi.

Même si... Même si Du haut de Bujumbura Rural, une complainte perce le ciel faussement calme/ Une femme, et toutes ses entrailles, maudit ce jour qui l'a plantée dans ce désert d'humanité/ Les vautours en font un royaume, qu'ils n'habitent même pas!
Car, eux, ils vivent dans les quartiers d'en bas...; où ils parlent leur langue des cultivés/ trop chic pour la comprenne. Malins, ces vautours affirment qu'Un homme [est] une voix, mais Ils veulent tuer l'homme... et garder la voix seulement!

L'auteur du poème, Jeanne Muvira, a accouché ces mots en 2008 alors que dans Bujumbura Rural venait de tomber un obus dont l'éclatement a arraché la conscience à une femme. Plus loin, 'en-bas', Bujumbura vaquait tranquillement à ces journées, les vautours qui y avaient élu domicile allaient le même le soir trinquer verre rouge de vin contre bouteille aux doux tons ambrés de bière.
C'était en 2008. En 2010, certains affirment que, malgré accords, postes partagés et élections à la clé, des vautours seraient réapparus dans le ciel burundais. Entendent-ils déjà les complaintes qui vrilleraient vers un ciel de nouveau noir de fumée et de doigts accusateurs?
Un slameur l'a souligné plus tôt, dans ce café-littéraire du 5 août: «L'écriture nous aide déjà à lutter contre le cynisme.»

mardi 17 août 2010

UNE RUE, de Annabelle Giudice

Annabelle GIUDICE

Elle marche encore une fois. Elle marche seule à nouveau. Elle marche pieds nus sur les trottoirs étroits des rues d’Ivry. Une fois encore, c’est le trottoir de Paris qui la recueille, un peu folle, les yeux hagards et rougis. Elle marche sans ses maudites chaussures qui lui blessent les pieds, elle marche toujours en direction du retour, d’une maison, une encore qui n’est pas la sienne. Chacun de ses pas, c’est un peu du bitume qui s’incruste dans la corne de son talon. Il lui faut bien ça pour revenir à la réalité. Elle bat le pavé, elle trace et se trace un chemin noir et rouge. Elle bat le pavé pour remettre son cœur en marche et inscrire chaque nouvelle avancée, continuer à être debout et s’en convaincre, se le graver sur les pieds et dans la douleur. Rien, elle ne voit rien d’autre que le bitume, le même toujours, noir, gris et sale, rien de plus brut comme rappel à la réalité. Et elle marche. Toujours dans la même direction. Elle ne pouvait que marcher pieds nus, libérés. La douleur était trop forte. Douleur aux pieds. Douleur au cœur. Elle avait bien reconnue cette rue tout à l’heure, proche du boulevard Montparnasse, ce bistrot lui disait bien quelque chose. Et elle s’est souvenue.

***

Quelle ironie. Ce cinéma à deux pas de cet hôtel. Cet homme-ci si proche de cet homme-là au delà des frontières de l’espace temps, dans l’espace de mon cœur et au rythme de mes sentiments.

***

Deux mois auparavant, elle rentrait de là-bas, et elle ne savait plus si elle rentrait chez elle ou si elle en était partie. Le choc était rude, entre Afrique et Occident, c’étaient toutes les déchirures, les paradoxes et les absurdités qui lui sautaient dessus, comme un chien méchant qui l’aurait mordu au visage ; bienvenu dans ton pays. Encore heureux, il faisait beau. Mais son rendez-vous avait manqué, et elle errait dans les rues de Paris. Une ville inconnue, anonyme, parcourue de couleurs et d’oppression froide. Autour d’elle, des visages gris et fermés, des yeux fous, un monde dans lequel elle ne reconnaissait plus rien, ou dans lequel elle ne voulait alors rien reconnaître. Et lui. Il était là à Paris ! Lui c’était cet homme rencontré et aimé si vite, c’était toute la folie, tout l’équilibre, c’était aussi son pays, sa couleur, sa chaleur. Elle descendit tout le boulevard pour trouver une carte téléphonique et la cabine qui allait avec. Elle enjamba même les barrières du chantier pour atteindre enfin sa voix au bout du combiné.
« - Allô ?
- Allô ?
- C’est toi ?
- Oui ?
- C’est moi !
- Mais oui, ce ne peut-être que toi !
- Il faut qu’on se voit… tout de suite !
- Heu... d’accord! On se rejoint à la bouche de métro Denfert-Rochefeau.
- D’accord, je t’attendrai dehors, à la sortie…
- Dans un quart d’heure.
- Tout de suite. »
Elle n’avait pas pris le temps de réfléchir ni même de respirer. Elle repassa les barrières de chantier et chercha avec frénésie la station de métro la plus proche. Rien ne pouvait être meilleur que de le voir. C’était cela ou ne pas reprendre son souffle, il fallait respirer à nouveau. Entrer dans la bouche de métro, un coup d’œil rapide vers le plan pour ne pas manquer la bonne ligne ou le bon arrêt. Vite. Impatiente, elle est debout sur le quai, les bras croisés, les yeux partout et nulle part. Un jean emprunté à une amie. Une chemise dans les gris-vert, des bottines de cuir, et ses cheveux tressés. Quelle drôle d’allure. Emmitouflée dans sa veste noire, en contraste avec ses tresses rouges qui tombent jusqu'à la cambrure de son dos, on dirait un oiseau blessé. Ses yeux bleus, verts, gris, on ne sait plus bien. Les tresses rendent son visage plus doux, plus tendre ou attendrissant, allez savoir, elle ne se reconnaît pas dans les vitres des wagons, ce n’est plus le même visage qu’il y a trois mois. Le métro approche. Les portes se referment derrière son impatience. Quatre arrêts, un changement et deux arrêts plus tard, vite. Sortir. Courir. Et monter les marches. Rien. Personne n’attend. Elle est la première au rendez-vous, comme souvent. Elle prend son mal en patience et attends, dans l’air frais du printemps parisien. Quelques feuilles commencent à pointer sur les branches noircies de pollution des arbres de l’avenue. Des bancs, des arbres et des avenues. Elle surveille chacune des bouches de métro, d’un côté puis de l’autre, chacun des passants est précisément observé, et le regard se détourne. Non, ce n’est pas lui. Et puis, un bonnet. Peu de Français portent encore des bonnets une fois venu le printemps. Un bonnet et un livre dans la main. Plus de doute, c’est lui, forcément. Et les bras qui l‘accueillent. Ils prennent un café à la table d’un bistrot un peu plus loin. A cette table, l’homme l’embrasse en public pour la première fois « parce que décidément tu es trop belle ». Puis il l’amène à son hôtel. Ou peut –être que c’est elle qui insiste pour y aller, on ne sait plus bien… Cet hôtel. Celui là devant lequel elle s’est retrouvée aujourd’hui, nue pour la deuxième fois, revenue encore d’un long voyage, revenue d’un ailleurs. Ces ailleurs construits tant dans l’imaginaire que dans le cœur, ces mirages d’amour et ces bonheurs inventés. Et c’est comme une claque que la petite histoire nous rend, histoire de petite fille : rien ne reste une fois l’amour consommé, rien ne reste des amours dépassés.

***

Son corps, le passé, la blessure. Son souvenir, son sourire, la plaie. Et entre les deux une rue. Seulement une rue. Alors que Paris en compte tant. Une rue seulement. Elle a échoué sur le banc, une âme dépitée qui ne semblait exister que dans le reflet que lui renvoyaient les fenêtres du hall d’entrée de l’hôtel. Que faut-il retenir de nos vies, les faits bruts ou les reflets du cœur et des esprits ?

*/*

samedi 14 août 2010

La complainte de la femme de Bujumbura Rural, de Jeanne Muvira

par Jeanne Muvira

Du haut de Bujumbura Rural, une complainte perce le ciel faussement calme

Une femme et toutes ses entrailles maudit ce jour qui l’a plantée dans ce désert d’inhumanité
Elle n’a que seules richesses sa terre et sa progéniture
La terre, on la lui arrache ! Qui ?
Ceux qui n’ont pas conscience d’en avoir possédé
Sa progéniture est marquée depuis des générations par des pleurs
Elle a entendu il y a longtemps cette même complainte qui perce le ciel faussement calme
Les vautours en ont fait un royaume
Les hommes se sont tus de leur lâcheté
Les armes raisonnent pour annoncer la petite grandeur des gardiens du temple Burundi
Ils sont forts dit –on dans les quartiers d’en bas, là où les vautours ont élus domicile
Les quartiers « en bas » géographiquement, mais opulence insolente,
Arrachée aux entrailles de la femme dont la complainte perce le ciel faussement calme

La complainte, va, avance, implore de se jeter dans un puits sans fond
Elle revient de plus en plus assourdissante
Les hommes des quartiers d’en bas ne parlent pas la même langue
Forcément, la complainte fait écho
Eux là bas , ils parlent leur langue au moment de la récolte
La moisson est artillerie, bouffonnerie, duperie, avidité
Cette langue est celle des cultivés des quartiers d’en bas,
trop chic pour qu’on la comprenne
Et ils disent et demandent qu’on les maintienne dans ces ténèbres pour les protéger d’une envie d’être comme eux,
Mais quand arrive la récolte de leur moisson,
ils veulent des voix pour se hisser encore plus loin, plus haut
Un homme, une voix dit-on
Ils veulent tuer l’homme jusqu’au dernier et garder la voix seulement
Ils sont fort les gens des quartiers d’en bas
Des cendres de leur Burundi, ils bâtiront une démocratie, un modèle de cette Afrique agonisante
La Banque Mondiale, le FMI et tous les autres sympathisants de l’agonie acclament
Nos dirigeants ont fait de leur mieux
Ceux dont la complainte perce de plus en plus le ciel faussement calme
n’ont qu’à mourir en silence
La dignité de leur silence nous emportera tous

jeudi 12 août 2010

Chronique du vendredi: Les petites voix (Roland Rugero)

par Roland Rugero

Il faisait un peu plus chaud, la parole volait plus aisément et cette soirée de ce 29 juillet accueillait, fait rare pour ne pas être évoqué, cinq présences féminines... Un gracieux record.
On a parlé des contes. Curieusement, Gahanga wishwe n'iki?-Qui t'as tué, crâne qui parle s'est imposé, quatre ans après avoir défrayé l'actualité burundaise...
Dans le Samandari, l'évocation de ce conte posa une grave question : fallait-il se taire; comme semble le recommander le célèbre crâne qui annonce, prophétique, à un jeune homme qui lui demande ce qui l'a tué: «Moi je suis parti de mort d'homme, mais toi tu mourras à cause de ta langue!»...

Les expériences des participants au café-littéraire ont prouvé que l'on rencontre ce conte-là en Tanzanie, au Rwanda, en RDC ou dans les pays de l'Afrique de l'Ouest. Un conte africain. Qui, si on le prend avec soin, n'enjoint pas à se taire, mais à savoir vivre le silence. La tradition burundaise le dit si bien, elle qui souligne qu'Ijambo rigukunze rikuguma mu nda- Le mot qui t'est cher te reste dans les tripes...

Dans ce silence de méditation, on est rentré avec le poème de Ketty Nivyabandi, 'Les petits hommes'. Texte qui évoque notre Burundi où 'les animaux ne parlent plus' et dans lequel 'les tambours se sont tus' depuis que d’étranges hommes/ des hommes aux petites idées/… aux petites actions/ ...aux petites ambitions/ se sont hissés, les uns sur les petites épaules de l’autre/ et, de la cime de leur ruine/ ont bandé les yeux à un petit pays/...
Un cri qui sourd près de 50 ans après l'Indépendance du Burundi, et plein de souffrances. Entretemps, on a le droit de savoir que parmi 'les petits hommes', il y a aussi 'de petites femmes.'

samedi 7 août 2010

Confession d’un immigré en Occident, slam de Tanguy Bitariho

par Tanguy
Hier j’ai appelé Mama au pays, elle et Papa m’ont demandé comment j’allais.
Moi, bien sûr, gentil petit mytho, ayant trop honte de sa vie de ghetto ;
Je leur ai encore répété qu’évidemment ça allait.
Moi qui, étant jeune, souhaitais une vie de ponte ;
Je n’ai même plus de maison.
Mon apparte fut saisi ;
Et je dors aujourd’hui chaque nuit sous les ponts.
Franchement je ne sais comment me sortir de la zermie ;
J’ai la dalle, je crève, ma bonne étoile est en grève ;
Et mon seul rêve, c’est d’avoir le RMI.
Au début, il m’est arrivé d’en pleurer ;
Mais maintenant je suis blasé.
La source de mes larmes c’est tarie autant que celle de mes amis.
Au début ils m’aidaient, quelques-uns m’hébergeaient ;
Je me disais qu’ils m’aimaient, peut-être même était-ce le cas.
Mais en tout cas, à la fin, j’ai compris que je les saoulais.
Pour eux, je n’étais qu’un boulet sur leurs pieds.
Au fond je ne leur en veux pas.
Un conseiller juridique, qui conseil mal, c’est pas pratique.
C’est ma faute après tout.
J’ai donc perdu mon emploi et me suis retrouvé sans le sous.
Après ça bien souvent j’étais saoul. Je buvais pour oublier et j’oubliais d’arrêter.
Mais, maintenant je suis sevré ;
Car de toute façon je n’ai même plus de thune pour m’en acheter.
Ainsi donc, ne pouvant plus me supporter ;
C’est comme ça qu’à la rue, je me suis fait jeter.
Et au fond je sais que je l’ai mérité.
Alors Mama pardonne-moi, je sais que j’ai tout raté.
Papa excuse-moi, je voudrai tant me racheter.
J’ai pas fait exprès, j’ai juste merdé.
J’avais plus de travail et encore le loyer à payer ;
Les factures s’accumulaient, la nourriture s’amenuisait ;
Et moi, pendant tout ce temps, je cherchais, je cherchais…
J’avais beau présenter mes diplômes, mes papiers ;
Continuellement on me recalait.
On me disait que je n’étais soit-disamment pas assez qualifié.
Pourtant c’est écrie là sur mon doctorat de droit.
Mais peut-être était-ce simplement dû à la couleur de mes doigts.
Enfin bon je sais pas, j’accuse personne, mais voilà ;
En tout cas, moi, je n’ai toujours pas d’emploi.
Je survie comme je peux ;
Alors je sais les bancs dans les parcs ne valent certes pas un bon lit bien moelleux ;
Mais une fois dans la panade, on n’est plus très capricieux.
Je graille un peu d’argent, pas tout le temps honnêtement ;
Mais quand j’en gagne suffisamment ;
Je me fais plaisir en m’offrant une nuit dans un hôtel pour jouir d’un vrai lit.
Ah j’oubliais ! Pour parfaire à mon malheur, j’ai dû apprendre hier qu’en fait j’étais père.
Déjà pas mal dans la galère, par un coup du sort, j’ai revu l’une de mes anciennes touches.
Une Européenne de souche, l’une des premières qui partagea ma couche.
Le fruit avait germé, moi, je l’ignorais ;
Et c’est après plus de dix ans que j’apprends que j’ai un enfant.
Mais qui suis-je honnêtement ?
Que pourrais-je donc donné moi qui suis damné.
Son argent de poche pèse déjà bien plus lourd que moi ;
Tandis que moi, pendant ce temps, je crève de faim et de froid.
Il paraît qu’elle veut me voir, mais moi j’veux pas.
J’ose pas, ça m’effraie d’imaginer un mini-moi.
J’aimerai, je voudrai, mais c’est trop tôt je crois.
Je n’ai ni boulot ni toit. Comment donc pourrais-je devenir à mon tour papa ?
Je sais, j’suis un chien de traiter en bâtarde une gamine qui serait mienne.
Mais je ne voudrais surtout pas lui transmettre les tares de mes gènes.
Je sais c’est pas bien et même si je me dis avoir trouvé solution au problème ;
Je ressens toujours cette gêne et contre moi une certaine haine.
En définitive, que ce soit mon boulot, mes amis, ma famille, ma vie ;
Je garde en perspective l’impression de n’avoir rien construit.
A ça, je ne prends aucune résolution ;
Parce qu’en fait je n’ai aucune solution.
Je sais que, j’ai déçu Mama, j’ai fait honte à Papa.
J’espère juste qu’un jour je sortirai de cette prison de malheurs ;
J’espère juste qu’un jour je n’aurai plus de remords.
J’espère qu’en de meilleurs jours, je ferai l’effort de lui offrir des fleurs ;
Pour lui dire « Ma fille, tu es mon plus beau trésor ».
Alors Papa ne désespère pas, je me rachèterai.
Mama ne pleure pas, un jour je me reconstruirai.
Mama, Papa ;
Cette lettre, je vous l'écris mais je ne vous l’enverrai pas ;
Car il me manque le courage de vous avouer mon désarroi.

jeudi 5 août 2010

Les petits hommes, de Ketty Nivyabandi

par Ketty Nivyabandi
Les animaux ne parlent plus
Les tambours se sont tus
Le Tanganyika s’est lentement éloigné
De ses rives ensanglantées
Par le cauchemar de ces hommes
Dont la petitesse transperce
Le sommeil profond des anciens.
Petits hommes aux appétits de géants
Ils parlent, ils parlent sans cesse
Au noms de petites gens
Dont ils ignorent les noms et les maux,
Et qui elles pourtant,
Les observent du haut front de leurs multiples malédictions.
Ils s’érigent des statues de poussière
Dans leurs demeures illuminées de ténèbres
Ils se mirent dans des glaces éclaboussées de pots de vin
Et sur leurs traces traînent de boueuses empreintes…
Ils parlent, ils parlent sans cesse,
Au nom d’un peuple qu’ils pillent sans merci.
Des bouches de leurs ventres à six têtes,
Il pleut des paroles qui blessent, qui rabaissent,
Des paroles frigides et stériles
Qui pilonnent de leurs longs ongles fourchus
La chair d’une terre hoquetant,
Dont ils sucent sauvagement les seins fanés
Pour quelques gouttes vermeils de vie…

Les animaux ne parlent plus
Les tambours se sont tus
Le soleil pleure l’éclat de ses rayons
Depuis que d’étranges hommes
Des hommes aux petites idées
Des hommes aux petites actions
Des hommes aux petites ambitions
Des hommes sans imagination
Se sont hissés, les uns sur les petites épaules des autres
Et, de la cime de leur ruine,
Ont bandé les yeux à un petit pays
Au teint ombré de crépuscule, qui
Il était une fois,
Rêvait de devenir grand.